"Epoux modèle, je me range toujours aux avis stupéfiants de bon sens de ma femme, mille fois plus intelligente que moi.
J'ai oublié de dire que je dois mon bégaiement, ce hachis sonore, ce zozotage explosif, à une gouvernante qui, chez ma grand-mère basque, avait voulu me punir en me suspendant par les pieds à la fenêtre du premier étage parce que j'avais, un peu plus tôt, fait peur à tante Henriette en surgissant dans le salon, masqué et armé d'un pistolet à amorces. Bref, j'ai rencontré Rolande dans une pièce. La vacherie était qu'elle était déjà mariée. Pis encore, les souvenirs se compliquent, car, aujourd'hui, Rolande prétend que cette année-là, elle ne m'a pas remarqué au point même de m'accuser de la voir partout avant même de l'avoir rencontrée ! Alors là, moi, je dis : quand on aime on ne compte pas les années et on voit sa femme partout avant même de l'avoir vue !
Mais revenons à nos moutons, la femme est supérieure à l'homme dans tous les domaines. Je prends un exemple au hasard, la beauté. J'en possède la preuve formelle avec ma femme qui est de sexe féminin et qui a toujours été plus belle que moi. "Attends un peu mon petit bonhomme ! m'interrompt Rolande. Si par malheur, un tramway ivre me renversait et me sectionnait les jambes, ton amour pour moi en serait-il diminué ?
- Pas du tout ! Tu diminurais de hauteur mais mon amour pour toi grandirait." Tout cela pour dire que nous avons passé notre première nuit d'amour à San-Remo en Italie. Ma liaison avec Béatrice Altariba touchait à son crépuscule. Et les sourires de Rolande m'ensoleillaient. Elle craque parce que je lui dit que je possède un véritable torse d'athlète entretenu à la force des haltères. Elle me répond qu'on a tous l'âge de nos haltères. C'est qu'elle est amusante ! Tout est parti de là.
Maintenant, s'il me fallait dresser le bilan de mon existence, je dirais que le plus beau moment de ma vie est d'avoir connu mon père et d'avoir pu apprécier le grand bonhomme qu'il était. Le moment le plus moche a été celui de sa disparition. Le moment le plus incroyable celui où j'ai appris la supercherie de Louise. Et le moment le plus triste, quand j'ai décidé de ne plus chercher à savoir qui était ma vraie mère. J'aurai beaucoup aimé embrasser ma vraie mère. C'est comme un rêve. L'autre beau moment de ma vie est d'avoir rencontré la femme idéale, toujours près de moi, quarante-cinq ans plus tard !
Depuis plus de 45 ans, je suis dingue d'elle. Toujours je me suis moqué de savoir d'où elle venait, quel était son passé, et je ne sais quoi encore. C'était elle que je voulais pour la vie.
Mon numéro célèbre était d'entrer sur scène avec juste un tabouret. Je préviens alors le public que je n'ai rien à faire ici, ni rien d'intéressant à dire, non plus. Par conséquent, nous devons tous nous armer de patience. Je m'installe sur le siège, croise les jambes et déplie un journal que je commence à parcourir. De temps en temps, je lève le nez et j'invite les gens assis dans la salle à faire de même, puis j'allume une cigarette en faisant aussitôt observer aux spectateurs qu'ils n'ont pas le droit de fumer. Je consulte ma montre. Toutes les deux minutes, j'avertis le public du temps qui nous reste. Je les autorise à parler entre eux. J'invite ceux qui le désire à me rejoindre, parce que j'aime bien les histoires drôles, celles qui sont courtes. En principe, un zigobar pareil devrait se faire sortir sous les huées. Et bien, non !
Mais revenons à ma femme, la cible de la dernière chance ou la chance de la dernière cible. Ma vie d’artiste est décidément truffée de propositions insolites. Aujourd’hui encore, alors que tout le monde sait que je suis devenu un saint, je reçois une proposition surprenante qui me fait cogiter. J'hésite. Serais-je devenu coincé avec l’âge ? Me voyant me perdre en futiles interrogations, Rolande me dit sobrement :
"Darry, mon petit ami, si tu fais ça , je te méprise et je te quitte."
Ça, jamais ! Je n’y survivrais pas ! J’aime tellement ma femme, que, la nuit, je rêve à elle.
C’est comme un songe de nuit d’été. Sous un voile de mousseline transparente, Rolande sort deux petites pelles. Elle m’en file une et, avec l’autre, elle commence à creuser le sable. Ah bon, on fait des pâtés ? ! A peine l’ai-je vue ériger le donjon d’un château qu’elle s’est évaporée. Ou est-elle passée ? J’entends le vent qui me fait : Hou ! Hou ! Je tourne mon regard vers la mer et je la vois, toute démousselinée, sa beauté dans le plus simple appareil, sautant dans les vagues bleues. Elle me lance des grands signes. Je crois l’atteindre, elle disparaît derechef. A nouveau, j’entends Hou ! Hou venant cette fois de la plage. J’accours vers elle en souvenant l’écume.
Elle porte les deux pelles dans les cheveux en guise de peignes espagnols. Elle m’attire vers une fête foraine éteinte. Elle frappe dans les mains. Que la lumière et la musique soient ! Le manège se met en marche, et la voilà assise, comme une enfant heureuse, sur un gros pigeon muni d’une selle et d’une paire d’étriers. Elle tourne, tourne, tourne. A cause de mes guibolles, j’ai un mal de chien à m'imbriquer dans l’autobus juste derrière le pigeon. Ça y est, j’y suis. Nous tournons, nous tournons, nous tournons. Soudain, d’un coup d’aile, son pigeon s’envole et moi je reste cloué dans mon autobus. C’est alors qu’au clair de la lune, j’entends ma muse chanter, accompagnée d’une chorale d’oiseaux blancs, La vie n’est faite que de rêves depuis Adam et Eve. Je me réveille en sursaut : ouf ! Rolande, en chair et en os, dort près de moi.
Je ne veux pas qu’elle me quitte ! Si vous saviez la trouille que je ressens chaque fois qu’elle enfourche sa Vespa. Elle jure de me téléphoner aussitôt parvenue à destination. Mais voila-t-il pas que les esprits soucieux me soufflent, goguenards : "Mon pauvre Darry, te voilà rassuré parce que ta femme vient de t’appeler de chez son amant !" A ceux-là, je réponds avec une certaine philosophie tibétaine : "M... !"
Comment oublier la honte de ma vie où je suis rentré à la maison comme si j’avais commis un hold-up. Il a fallu toute la tendresse de Rolande pour me remettre d'aplomb.
Une fois je lui ai fait la gueule, elle m’avait fait un sale coup. Du coup, je ne lui ai pas adressé la parole pendant deux heures et dix-huit minutes.
Pour finir, j'aimerai qu'un jour un journaliste me demande : "M'sieur Darry Cowl, quels sont vos projets après votre mort ?" Alors là, attention ! Si un jour quelqu'un me pose cette vacheried 'excellente question percutante, je répondrai :
"Dans l'au-delà immédiat, je compte pratiquer la traversée du pôle Nord en traîneau, tiré par un ours blanc à jeun, ayant deavnt lui des biches, elles-mêmes encordées à un ULM, piloté par des lapins angoras."
Voilà, c'est fini.
Pour les amateurs : Darry Cowl est un époux modèle ; La traversée de l'Atlantique de Darry Cowl ; Les souvenirs de Darry Cowl ; Le démon de midi de Darry Cowl