"Souvenirs d'école.
Je pense aux parents d'abord, honneur à la famille. A ceux qui éprouvent la peine sincère devant la note médiocre, l'annotation sans appel : "N'est manifestement pas au niveau de l'examen" - "Un effort est nécessaire" - "Doit absolument réaliser de sérieux progrès" et le sempiternel... "Peux mieux faire".
Peux mieux faire... Merde à la fin !
C'était mon cas moi, j'avais des parents sympathiques, je n'ai pas pris de grandes taloches, pas de taloches du tout d'ailleurs. Même pas de grands cris, c'était plutôt le style navré, navré-attendri. Et sincèrement, je le sentais.
Il faut dire qu'il y avait de quoi au vu de mes résultats, sombré dans la navrade absolu. Alors venaient les phrases. D'abord celle qui a du bercer et berce encore les générations :
"Ce n'est pas pour nous que tu travailles, c'est pour toi."
On pourrait écrire des volumes là-dessus.
Phrase permanente dans nos civilisations reposant sur l'idée phare de la toute-puissance du résultat scolaire sur le futur de l'individu. Celui qui n'aura pas la note requise aura sa vie manqué. C'est comme ça. Aux oubliettes.
A travers les chiffres rouges soulignés se profilent les existences lamentables, les bureaux gris où l'adulte de demain traînera les pieds jusqu'à la retraite sous des ampoules de faible ampérage.
Alors que Gaston Joyeux, le voisin du quatrième qui obtient le tableau d'honneur avec une régularité de métronome, boira dans des flûtes cristallines le champagne des belles réussites sociales.
Il aura la situation...
Celle qui permet de régner, de se faire les Seychelles à la place du camping, d'avoir la résidence secondaire et la dernière Renault Clio.
Désespoir absolu : dans l'oeil désolé du papa fatigué l'enfant lit son sort, ça ne va pas être une belle vie que sa vie... Avec des notes pareilles se profile la désolation des petits salaires à venir, des fins de mois difficiles : fin de mois, fin de moi. Le sort est jeté.
Fin de l'histoire.
Avec le recul, je me demande si la réaction de ma grand-mère n'est pas meilleure pour moi, elle me promettait régulièrement l'échafaud.
Ni plus, ni moins.
Il faut dire que j'avais six en calcul, deux en dictée, trois en géo. il n'en fallait pas plus pour que Mamie monte au créneau.
Tandis que dans l'oeil paternel, il y avait le monde possible, certain même puisque le monde le disait. Je serais un minable. Un moins que rien.
Oh rien de grave, pas clochard, pas miséreux, je serai quelconque alors que Joyeux serait quelqu'un. "Si tu veux devenir quelqu'un..." Incroyable ce qu'être quelqu'un m'a paru difficile. Insurmontable même.
Et puis le pire allait venir plus tard sous la forme d'une autre phrase. Méditée, pensée après une réflexion approfondie dudit carnet de notes. Elle tombait en sentence, indiscutable :
"Tu nous fais beaucoup de peine."
Et voilà.
Je les aimais bien mes parents, beaucoup même, et sans doute énormément, et voilà qu'à cause de mes paresses, mon manque d'intérêt pour la règle de trois et le carré de l'hypoténuse, je leur faisais de la peine. Chose horrible. J'étais un monstre !
Mais oui, non seulement je ne m'amusais pas du tout à cette bon dieu d'école, non seulement je n'y chahutais pas, non seulement j'y rentrais à reculons, non seulement j'y tremblais dans ma culotte mais en plus voilà que j'y trouvais le moyen d'y faire de la peine à mes parents !
La totale.
On croyait que c'était fini à la sonnerie, qu'à quatre heures et demi en sprintant en dératé à travers la cours on allait la quitter, couper les fils, ouf, terminé.
Pas du tout, elle était là toujours, on l'emportait avec soi d'ailleurs, dans son cartable, avec les leçons pour demain, les devoirs pour la semaine prochaine, les carnets à faire signer et surtout surtout avec les parents.
"Si tu travailles bien, tu auras de l'argent, pas comme nous qui tirons la ficelle."
C'est la grande chance de l'école. De bonnes notes et fini les temps difficiles. Il m'est venu quelquefois à l'idée de leur demander s'ils avaient si mal travaillé que ça pour arriver si peu à joindre les deux bouts. Une autre phrase choc me revient en mémoire :
"Moi, j'aimerai être à ta place et revenir à l'école."
En attendant, pas de dessert, plus de télé, pas de sortie, plus de tennis, pas de vacances si les notes ne s'améliorent pas.
Forcément, c'est pas les punitions qui manquent.
Ni les récompenses, bien sûr. Ah les promesses du billet de cent balles si ça s'améliorent le mois prochain. Ah moi les billes, les bonbons...
Ma mère devait se sentir un petit peu responsable, si elle me surveillait mieux, je serais peut-être moins nullard, et puis elle devait se dire que si j'étais aussi con que le prétendait le dirlo, grand expert en la matière, il fallait bien que je le tienne de quelqu'un, ma connerie, et de qui pouvais-je la tenir à part d'elle ?
Un peu de mon père peut-être mais il fallait bien qu'elle en assume la moitié si je n'étais pas capable d'apprendre la vie tumultueuse de Pépin le Bref.
Du coup - pour se donner bonne conscience -, elle en faisait des tonnes :
"Fais tes devoirs."
"Tu sais ta leçon ?"
"Tu joueras quand tu la sauras."
"Tu es collé dimanche ? Privé de cinéma mardi."
"Ta moyenne a baissé ? Pas de sorties pendant huit jours.
"Tu peux dire à ton copain que tu n'iras pas à sa boom."
Et toc.
Rappelez-vous, on en prenait plein la gueule à l'école avant de se dire en nous-même :
"Et en plus, qu'est-ce que je vais prendre à la maison !"
J'avais un copain qui m'a fait longtemps rêvé, lorsqu'il chopait la retenue, la note lamentable, le zéro pointé, la remarque assassine sur le bulletin, il haussait les épaules et disait :
"Moi, mon père, y s'en fout."
Ce père, quel homme !
Collection "Souvenirs d'école"
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