"L'ardoise et la craie. Morceaux choisis :
Des images me sont proches : l’allégorie de la Marseillaise ou cette carte en bandes horizontales : en bas, zone tropicale, au milieu, zone tempérée, en haut, zone glacière. On éprouvait la jouissance d’appartenir au jardin du monde, la zone tempérée, par rapport à tous ces tigres qui nous menaçaient en bas et ces ours blancs en haut.
Bien entendu, la France était l’objet d’une litanie avec ses préfectures, ses sous-préfectures, ses départements. Nous devions nous débrouiller devant la carte muette. Il fallait repérer les affluents de la Garonne, aller en chemin de fer, ou par canaux.
Le livre de chevet était le Tour de France par deux enfants.
C’était une école de la vertu.
Qu’a-t-elle apporté de plus à mon enfance ?
Je me souviens très bien avoir vu des canants où des soldats avaient vécu. La guerre que nous avions connu que dans les jeux guerriers de notre enfance ou dans une collection Larousse qui s’appelait Les petits livres roses où l’on racontait l’héroïsme es poilus, cette guerre-là, tout d’un coup, on en voyait la tragédie et non plus la gloire.
La classe se divisait en trois clans : le clan des pensionnaires, celui des externes qui appartenaient à une vie encore familiale, et le clan des demi-pensionnaires qui déjeunaient au lycée et acceptaient de faire les commissions des internes, en ville, de rapporter des numéros de l’Epatant ou de l’Intrépide.
Nous étions des lycéens pauvres mais avec dix sous, cinq sous, on pouvait se permettre e les dépenser. A ce moment-là paraissait une suite, L’aviateur de Bonaparte, qui mélangeait la science-fiction et l’histoire et qui me passionnait.
Elle écoute mes poèmes et s’attendrit sur moi. Elle doit avoir vingt-cinq ans et je deviens très amoureux d’elle. Très élégante, elle emploie des parfums pour moi inédits, comme Nuit de Chine…
Le lieu de vacances devient romanesque. Je reverrai al jeune femme en Novembre à paris, mais ces grandes vacances, qui marquent l’apogée de mon adolescence, seront à jamais finies, si elles durent toujours dans mon souvenir…
1935.
La guerre d’Ethiopie en 35 n’avait pas tiré assez fort le signal d’alarme. Le Négus, avec sa grosse soutane qui lui donnait des airs de l’abbé Pierre, sa barbe triste et ses pieds nus, déclenchait des publicités du genre : "Négus, allez chez André !" Il s’agissait des chaussures André, bien sûr.
Beaucoup de Français avait tendance à tourner le sérieux en dérision.
Mussolini nous apparaissait comme un César ridicule, correspondant à une certaine image que l’on pouvait se faire de l’Italie. Hitler, c’était le caporal dont on se moquait. La notion de danger nous échappait encore, nous ne croyons pas à l’avenir d’Hitler.
Ensuite, c’est la grande aventure du Front populaire, avec les drapeaux rouges, les ouvriers perchés sur les toits des usines qui remontent, à l’aide d’une corde, les paniers de victuailles que leur apportent les femmes. Et les occupations sur le tas, la grève de la blanchisserie de Grenelle, par exemple !
Le gouvernement Blum institue les congés payés. j’assiste en tant que journaliste aux premiers départs. C’est le temps de : "Une fleur au chapeau, à la bouche une chanson… "
Mais les menaces pèsent : la poussée du chômage, la guerre d’Espagne …