"L'ennemi public n°1.
Maison d'arrêt de la santé. La nuit vient d'étendre son voile sur les souffrances du monde carcéral. Il fait froid, c'est l'hiver. Les lumières se sont éteintes. L'ombre des barreaux se reflète sur les murs délavés des cellules comme pour y emprisonner la seule évasion que représente le rêve.
Chaque cellule dans sa noirceur renferme une histoire, un drame, une douleur, un homme et sa solitude, que la nuit apaisera ou rendra encore plus pesante.
Tino, le petit escroc, entame sa dernière nuit en jurant de ne plus revenir. Demain il sera libre, du moins le croit-il ! Le maton du greffe lui dira ironiquement : "A la prochaine !" Il l'a déjà vu revenir six fois.
C'est un habitué ; comme tant d'autres que l'on rejette à la rue, sans travail, sans fric, sans domicile, sans espoir de pouvoir s'en sortir un jour et qui n'ont pour tout avenir que la prison à vie payée par mensualités.
Les murs épais de sa cellule ne lui permettent pas d'entendre les sanglots et les insultes que gueule son voisin. "Salope..., maudite salope !" Une photo de femme gît sur le sol. La lettre qu'il a reçue ce soir lui a appris que sa môme le plaquait. Hier encore, dans une précédente lettre, elle lui parlait d'amour. Il l'a comparée avec son certificat de cocufiage et dégueule sa rancoeur. Les lumières se sont éteintes sur cette constatation. Peut-être souffre-t-il vraiment dans son amour trahi, sinon son orgueil.
Un cocu libre, ça peut faire sourire ; un cocu engagé, c'est toujours dramatique. Il eput pleurer, personne ne le regarde. "Après ce que j'ai fait pour elle, me faire ça à moi..., la salope !"
Il sait qu'il est de mauvaise foi. sa femme, il l'a aimé entre deux casses minables. A chaque cuite, il l'a caressée à coups de savate pour lui faire voir qu'il était un dur ! Il l'a entretenue des promesses de ses richesses futures et illusoires.
Deux fois elle l'a attendu, espérant le voir changer. Puis, usée par des parloirs sans vie, elle lui a écrit qu'elle n'en pouvait plus ; cette fois elle a rencontré un brave type et veut refaire sa vie.
Demain, il s'inventera une histoire pour les copains de la promenade. Il se donnera le beau rôle, il jouera les hommes. En attendant, il chiale comme un môme. Les murs se sont habitués à ce genre de confidences. Ils sont les buvards de presque un siècle de souffrance.
Enfant, avec mes petits copains, on jouait à la guerre. On s'était fabriqué des mitraillettes en bois. Mille fois on tombait mort, mille fois on reprenait le combat. Les filles participaient à nos jeux ; elles soignaient nos blessures imaginaires en nous faisant des pansements de nos mouchoirs crasseux. J'ai appris à aimer ces armes de bois ; cette passion ne me quitta jamais plus.
Ensuite, comme tous les mômes de mon âge, je suis tombé amoureux d'Audrey Hepburn après avoir vu pour la énième fois son film Vacances romaines.
La prison est arrivée vite. Et là, j'ai rencontré des mecs qui étaient au trou depuis plus de dix ans. Je me demandais comment un homme pouvait accepter une telle sentence, pire que la mort. Comment des mains pouvaient-elles rester autant de te temps sans caresser le corps chaud d'une femme ?
Comment des yeux pouvaient-ils rester aveugles au charme d'un sous-bois d'automne ou du spectacle d'un enfant courant dans un chant fleuri, en n'ayant pour toute vision que les murs froids d'une cellule ?
Comment les sens auditifs pouvaient-ils rester tant de temps sans entendre l'amour, le bruit de la vie ou plus encore les cris joyeux de l'enfant qui se précipite dans les bras de son père ?
Comment un homme pouvait-il accepter la vie en étant un mort sensoriel ?
On est obligé de se créer un monde imaginaire pour survivre. Je savais déjà que je préfèrerais jouer ma vie pour retrouver ma liberté que de constater mois après mois ma dégradation mentale et le négatif de mon avenir.
"A quoi sert de pleurer le soleil,
Tes larmes t'empêcheront de voir les étoiles."