"La cité de Nostradamus.
Salon est une bourgade située à une demi-heure de Marseille (en roulant bien). C'est la ville de Nostradamus (je le savais) et de Mme Martin (je l'ignorais).
Qui est Mme Martin ?
Une résidente de la maison de retraite l'Ensoleillado. J'ai la photo de sa jeunesse sous mes yeux. Jolie quand on l'examine bien, souriante, voire rieuse, cultivée, aimant Bach, Mozart et Pergolèse, personne ne comprit jamais pourquoi tous les garçons qu'elle put croiser entre 18 et 35 ans épousèrent ses cousines, ses copines et même ses deux sœurs pourtant moins avenantes.
En fait, personne ne se posa jamais la question, sans doute parce que tous sentirent confusément une chose bouleversante : Émilie - c'est son prénom - ne ressentait rien à l'égard des hommes comme des femmes d'ailleurs.
Bien plus tard, au cours de ces années que l'on réserve aux souvenirs, elle chercha dans sa mémoire si au cours de sa jeunesse elle n'avait pas eu la sensation d'une main frôlant la sienne, d'un regard plus intense balancé au dessus des cristaux d'un service à Porto lorsqu'on lui apportait les rafraîchissements sous la tonnelle du parc...
Il lui fallait bien reconnaître que rien de semblable ne s'était jamais produit. Il lui fallait bien conclure ce qu'elle savait déjà : elle n'avait jamais aimé personne.
Pourtant, lors du spectacle, Mme Martin s'est souvenue... Pas grand chose, deux fois rien, juste le souvenir d'un baiser échanger avec Lucien le voisin. La suite à ce doux baiser ? On l'ignore.
Ce qu'on sait en revanche, c'est qu'à l'évocation de ce doux moment, le sang de Mme Martin n'a fait qu'un tour. Elle a alors lancé - à la hussarde -, ces deux quatrains lapidaires :
"Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !
Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire,
Tout dise : Ils ont aimé !