"Une "Une", là, sous vos yeux.
Elle est consacrée à Lee Harvey Oswald, le type même de l'homme qui, jamais, n'a été à l'aise dans sa peau.
De son passé tout est médiocre. Son enfance est parfaitement dénuée de chaleur humaine. Ballotté dans les écoles du Nord où l'on se moque de son accent du Sud et dans les écoles du Sud où l'on se moque de son accent du Nord, il s'est replié sur lui-même.
Son comportement a inquiété même ses professeurs ; sur leurs conseils, sa mère, une femme geignarde qui passe son temps à se demander ce qu'elle a fait au ciel pour donner naissance à un tel fils, le fait entrer dans un institut spécialisé, bourré de caractériels et de délinquants mineurs. Elle va finir par le reprendre à la maison. Mais chez elle, le jeune Lee, en grandissant étouffe de plus en plus. Dès qu'il peut, il s'engage dans les Marines. il en attend tout. Il n'y découvrira que la certitude de n'être pas doué pour les rapports humains. Pas plus qu'à l'école, il ne parvient à se lier avec ses camarades. On le surnomme le "lapin".
Son temps achevé, il découvre le marxisme et part pour l'URSS. Ce qui était très rare à l'époque pour un Américain. Ayant sollicité la nationalité soviétique et celle-ci lui ayant été refusée, il tente de se suicider. Apparemment émues, les autorités russes lui accordent l'autorisation de rester en Union soviétique. Il s'installe alors à Minsk où il obtient un poste d'ouvrier dans une usine fabricant du matériel de radio. Le paradis entrevu se révèle un purgatoire. Est-il capable de s'adapter quelque part ?
Dans un bal, il rencontre Marina Nikolaevna Prosakova. C'est le coup de foudre réciproque. Ils se marient le 30 avril 1961. Une petite fille naît en février 62. Le but de Lee désormais : être aimé de sa femme et surtout admiré d'elle. Son retour aux Etats-Unis avec elle n'a pas d'autre explication. Il a voulu montrer l'Amérique à cette petite Soviétique jamais sortie de sa province. Marina s'émerveille, en effet, mais surtout face au spectacle de l'American way of life, guère devant son mari américain. A Minsk, du fait de sa nationalité, Oswald tranchait avec les autres. Aux États-Unis, il se perd dans la masse. Aime-t-on ? Admire-t-on une ombre ?
Dans un pays où l'argent est roi, le ménage en manque. Ouvrier métallurgiste, il sera ensuite renvoyé pour "faiblesse de rendement" d'un poste de stagiaire dans une firme de photographie avant d'être magasinier : voilà les seuls emplois qu'aura pu trouver Oswald qui rêve de changer le monde. Il se veut toujours marxiste et voudrait qu'on le prenne au sérieux. Personne n'y songe. Surtout pas sa femme d'ailleurs qui lui confie ses rancoeurs, ses déceptions. Même sur le plan sexuel. Marina est une épouse désabusée et ne craint pas de le dire. Oswald comprend qu'il est sur le point de perdre définitivement la femme qu'il aime et ne s'y résigne pas. Pire : il ne sait plus ce qu'il veut.
Le soir du 10 avril 1963, il va chercher sa carabine et la dissimule sous son pardessus. Cette fois, il sait très bien ce qu'il veut. Il se dirige tout droit vers le domicile du général Walker, chef des extrémistes de droite du Texas. Si on écoutait ce boute-feux, c'est tout juste si les Noirs du Sud ne seraient pas de nouveaux réduits en esclavage et si l'Union soviétique n'aurait pas été depuis longtemps arrosée de quelques bombes atomiques bien ajustées. Oswald hait Walker.
Le voici devant la clôture du jardin qui borde sa maison. Le général travaille alors à son bureau ; il se découpe dans l'encadrement lumineux d'une fenêtre du rez-de-chaussée. Une cible idéale. Dans l'allée qui mène à sa demeure, personne. Oswald ouvre son pardessus, sort la carabine. Il l'épaule. Aussitôt que, dans le viseur, apparaît la tête du général, Oswald tire.
Le général s'en est tiré par miracle : visé de si près, présentant une cible immobile, n'importe qui aurait dû l'abattre. Mais le général Walker est en vie. Oswald n'a pas trouvé la gloire, ni à ses propres yeux, ni face à l'humanité. Il va devoir trouver autre chose...
Il trouvera autre chose.
Ma Mamie m'a dit qu'elle était au marché quand elle a entendu la nouvelle et que d'un coup plus personne n'a parlé. Comme si le temps s'était arrêté.
Même son de cloche du côté de mon papi qui m'a dit : "C'est un complot, c'est sûr. Comment veux-tu que ce tocard qui n'arrive même pas à abattre un éléphant dans un couloir puisse du 5ème étage d'un immeuble loger trois balles dans la peau d'un homme dans une voiture qui roule à vive allure ?"
En tout cas, il n'y a jamais cru.
Mamie - elle - se souvient juste qu'après l'assassinat de Kennedy, son portrait était partout où les gens appelaient à voter Johnson. Ou plutôt à voter contre Goldwater. Que les gens qui voyageaient avec elle ne mangeaient jamais dans un restaurant qui n'arborait pas un portrait de Kennedy.
Et que tout le monde était triste...
Collection "Mamie explore le temps"
Lee Harvey Oswald - Stavisky ou la corruption - Sarajevo ou la fatalité - Jeanne d'Arc - Seul pour tuer Hitler - Leclerc - Sacco et Vanzetti - La nuit des longs couteaux - Jaurès - Landru - Adolf Eichmann - Nobile - Mr et Mme Blériot - Les Rosenberg - Mamie embarque sur le Potemkine - L'horreur à Courrières - Lindbergh - Mamie au pays des Soviets - Jean Moulin face à son destin - Mamie est dos au mur - L'assassinat du chancelier Dolfuss - L'honneur de Mme Caillaux - Mamie au pays des pieds noirs - La Gestapo française