"Une photo, là, sous vos yeux.
La photo d'un catalogue. Un catalogue des prix d'amour - pour être précis - sur les pratiques des filles soumises au XVIIIème siècle.
Plus qu'une photo, un programme.
Les us et coutumes de l'époque, en somme. Sur ce catalogue, on lit :
- Savonnette impériale russe au savon de Marseille : 30 sous (notons qu'il faut ajouter un supplément pour les amateurs de savon du Congo comme Napoléon III ou Plonplon pour ne citer qu'eux)
- Branlette ordinaire (pratiquée avec une seule main) : 33
- Petit doigt dans le trou du cul : 50 (pas très cher au fond)
- Gougloutage du poireau avec pression de la main : 35 (le prix pouvait tripler si le glougloutage était pratiqué par Anna Deslions ou par Mme M.)
- Pissette sur la quéquette : 45 (la spécialité d'Esther Guimond)
- Suçage à la menthe : 50 (notons que Cora Pearl s'était démarqué de la concurrence en pratiquant la sucette à l'anis)
(Liste non exhaustive)
Des tarifs très raisonnables. Rien d'étonnant là-dedans. Explication :
Les formalités à quoi les filles faciles sont obligées ne diffèrent guère de celles d'époques antérieures ou postérieures. Il y a les apprenties qu'on appelle les biches. L'idéal d'une biche est de devenir lorette. L'idéal d'une lorette est de finir lionne comme la marquise de Païva.
Un peu d'histoire : Sous Louis-Philippe, Lorsque furent percées les rues nouvelles du quartier Notre-Dame-de-Lorette, quantité d'appartements s'étaient trouvés à louer.
Devant la grève des locataires - heureux temps - les propriétaires avaient annoncés une baisse générale des loyers. Les jeunes et faciles personnes de la capitale s'étaient jetés - à corps perdu - sur l'occasion.
Elles avaient annexé le quartier. Nestor Roqueplan , dans une chronique, les baptisa un beau jour : "les lorettes". Le nom leur était resté et disons-le tout net, pour la prostituée, c'est l'un des noms les plus charmants qu'on lui donna jamais.
Des mémorialistes souriants ont dépeint la journée de la Lorette.
La lorette se lève tard, fais un peu de ménage - oh ! le minimum ! - dans ce qu'elle appelle son boudoir : un petit réduit de six pieds carrés, avec nécessairement un porte-cigares et des fleurs en papier.
A midi, la lorette déjeunera d'un peu de pain et de confiture. Car elle ne fait qu'un vrai repas par jour : elle soupe. L'après-midi sera rempli par une opération capitale : la toilette. Le soir tombe.
C'est l'heure !
Là voilà partie en campagne. De la rue de Bréda, de la rue des Martyrs, les biches, les lorettes, les colombes descendent vers le boulevard des Italiens ou le boulevard Montmartre.
Une véritable invasion.
La règlementation ? Il lui est interdit de stationner sur la voie publique ; elle n'y peut apparaître avant sept heures et après onze heures du soir. Dehors, les étoffes éclatantes lui sont défendues. Elle ne sortira pas "en cheveux".
De même, il lui est interdit de déambuler aux abords des églises, des palais, des jardins publics, des boulevards. Mais une question est sur toutes les lèvres : d'où viennent-elles ces filles ?
De très bas, en tous les cas.
Beaucoup sont nées à la campagne. Elles sont arrivées à Paris comme filles de cuisine, bonnes à tout faire si je peux me permettre l'expression. Elles y ont lié une "connaissance". Cela s'est su. Les maîtres les ont chassées. Que faire ? Retourner au pays ? Impossible, même pas en rêve. Alors, elles ont fermé les yeux et mis "le pied sur la pente qu'on ne remonte pas".
Les chroniqueurs du temps affirment alors qu'elles se révèlent souvent filles de concierge... Dans la loge maternelle, elles aspiraient à déclamer au Français, à danser à l'Opéra. Elles sont parfois entrées "dans la carrière" comme grisettes.
Puis, après quelques idylles, marquées par de beaux dimanches à Robinson - avec M. de Persigny ? -, elles ont abandonné l'atelier, "pour que tous les jours, dit Mamie, leur soient désormais des dimanches".