"Une photo, là, sous vos yeux.
Une photo de Lola, évidemment.
"Ayant beaucoup réfléchi, je suis partie tenter de décrocher un prince !" Qui parle ainsi en cette fin d’hiver 1846 ? La célèbre danseuse espagnole Lola Montès : un corps harmonieux et souple à vous couper le souffle, un visage d’une rare pureté illuminé par des yeux noirs "plus profonds que la profondeur des eaux apaisées par le soir", nous précise l’un de ses admirateurs qui préfère garder l’anonymat.
Il faut se méfier de ce genre d’eau dormante, surtout lorsqu’il s’agit d’une danseuse espagnole... qui n’était pas plus espagnole que danseuse.
Lola Montès s’appelait en réalité Marie-Dolorès Gilbert - et plus familièrement Betty. Elle était née en Irlande, à Irishtown. Toute jeune fille, se trouvant alors à Paris, elles e fit enlever par l’amant de sa mère, le jeune lieutenant anglais Thomas James qui l’avait épousée.
Le soir du 8 juin 1843, les spectateurs du Barbier de Séville, s’apprétaient à admirer - en intermède - dona Lola Montès du théâtre royal de Séville. A peine eut-elle paru sur la scène qu’une voix fusa dans la salle :
- Mais c’est Betty James ! Je la connais bien !
On dut baisser le rideau et Lola Montès, après des amours tumultueuses avec Liszt - il la trouvait belle comme une tigresse - s’en vint tenter sa chance à Paris.
Les Parisiens étaient alors gâtées par la Taglioni "prêtresse de l'art chaste" - elle priait des jambes, disait-on - et par la provocante Fanny Elssler dont les pas "mordaient les planches".
Aussi, Lola se fit-elle siffler à l'Opéra avant d'émigrer à la porte Saint-Martin où - pour rendre jaloux son amant, le journaliste Dujarrier - elle dansa un soir les jambes et les cuisses nues.
On ne badinait pas du temps de ma Mamie !
Un commissaire de police vint constater l'absence de maillot - et les planches parisiennes furent désormais interdites à Lola.
- Que faire ?
Décrocher un prince !
Et c’est pourquoi notre "danseuse espagnole" se mit à éplucher le "Goth". Elle tomba alors en arrêt devant le nom de Louis Ier, roi de Bavière, amant de la grâce antique, amoureux de la beauté. En 1809, Goethe l’avait baptisé "un jour de printemps insouciant et lumineux". En 1846, âgé de soixante ans, le printemps n’était plus chez le souverain que souvenirs, mais son âme demeurait "parfumée de jeunesse et de fraîcheur".
Et lorsqu’il voulait se sentir heureux, il allait demeurer en extase dans sa "galerie de beautés", où se trouvaient réunis vingt-trois portraits de femmes où l’on pouvait admirer les traits sans défauts de la princesse Alexandra mais aussi la piquante Mme Anna Hilmayer, femme d’un marchand de volailles de Munich.
Lorsque Lola Montès apprend quels sont les goûts le Louis Ier, elle se sent pousser des ailes. Assurément, lorsqu’il contemplera l’extraordinaire beauté de la "senora", le vieux roi va s’enflammer... et elle saura bien lui démontrer qu’elle n’était point une Vénus de marbre.
A Munich, le 25 septembre 1846, Louis Ier est en train de travailler lorsque se présente son chambellan.
- Sire, la senora Lola Montès sollicite une audience.
Louis redresse sa tête et ouvre les yeux comme des billes. Ce nom lui dit quelque chose. Puis le roi hausse les épaules. Qu’on le laisse tranquille.
- Je dois dire à votre Majesté, insiste le chambellan, que la senora est ravissante.
Louis pose sa plume.
- Soit, introduisez.
Lola, les yeux baissés, s’avance. Elle porte une robe qui met merveilleusement en valeur son corps délicieux. Elle s’effondre dans une profonde révérence avant de lancer au malheureux déjà troublé l’un de ses regards dont elle a le secret. Oublié les portraits de la galerie...
Maintenant, il l’écoute, ébloui.
En quelques regards, en quelques attitudes, en quelques paroles, Lola l’a subjugué. Conquis à jamais, son coeur battra alors jusqu’à la fin de ses jours pour celle qui va lui coûter son trône.
La suite ? A peine la sirène a-t-elle quitté la pièce, empruntant dans les plis de sa robe toutes les pensées de Louis que le souverain appelle le comte Reichberg : la senora Lola Montès est imposé à l’opéra par un ordre royal. Dans la foulée, il lui donne les titres de comtesse de Landsfeld avec tous les droits, privilèges, immunités d’usage, y compris la justice sur deux-milles paysans. C’en est trop. La goutte d’eau.
Les ministres vont alors monter au créneau contre les écarts de conduite du roi - qui se moque bien d’être approuvé ou désapprouvé - et qui décide de les remplacer sur le champ.
Toute l’Europe éclate de rire !
Le Times dans son Editorial écrit : "Où allons-nous, si les ministres se mettent à pleurer les écarts de conduite des rois et quels torrents de larmes ces pudiques censeurs n’auraient-ils point versés sous certains règnes !"
Cependant, en apprenant les décisions royales, le mécontentement redouble, le public vocifère contre la favorite "envoyé du Diable" et "bête de l’Apocalypse". Assurément, la Montès est "un agent politique", un "instrument des forces occultes qui préparent en Europe la révolution".
La presse se déchaîne. On agite les grands mots de Famille et de Religion.
Les associations estudiantines vont jusqu’à manifester devant la maison de Lola qui ne perd pas son calme. Tirée de son lit par les hurlements, elle apparaît en peignoir sur le balcon, une coupe de champagne à la main et boit à la santé de ceux qui la conspuent.
La crânerie du geste ne désarme pas la foule - Munich n’est pas Carmaux - les vociférations redoublent de violence, des pierres brisent les carreaux de la maison. Soudain les braillards se calment. La haute silhouette du roi vient d’apparaître dans la rue. De sa canne à pommeau d’or, il repousse les manifestants qui, matés par son regard hautain, s’écartent, le laissent passer.
Tout paraît cependant un peu se calmer, jusqu’au jour où, Lola se fait de nouveau conspuer. Elle descend cette fois dans la rue et lance avec superbe :
- Demain, l’Université sera fermée !
Le lendemain, le roi met, en effet, la menace à exécution.
Et le drame éclate.
C’est devant le palais maintenant que la foule menace et rugit. L’émeute deviendra révolution et Louis Ier décida d’abdiquer.
Revenue à Londres, Lola fut traînée en justice. Elle s’était mariée une deuxième fois, mais n’était pas divorcée de la première. Le procès terminé, elle partit pour les Etats-Unis afin d’interpréter son propre personnage., s’exhibant dans les foires où, en payant, on pouvait interroger la "danseuse espagnole" sur ses amours.
La fin ? Elle mourut - touchée par la grâce - âgée de quarante-trois ans.
Rideau.