"48.
Pendant près de 60 ans, les cantines de la France entière ont vu des enfants s’adonner à un étrange manège : plonger leur nez dans leur verre et l’observer avec des yeux pétillants. "Quel âges as-tu ?". "J’en ai vingt-cinq. Et toi ?". "Trente-cinq."
Sur le fond du récipient, le chiffre a occupé des générations d’enfants à l’heure du repas, entre les carottes râpées, le hachis parmentier et le steak-purées. On pouvait vieillir de dix ans du jour au lendemain, et rajeunir tout autant ! Bien souvent, celui qui avait le plus petit numéro était de corvée de pain ou d’eau...
Avant d’aller plus loin, brisons douloureusement un mythe... Le chiffre fétiche au fond du verre Duralex n’était pas destiné à distraire les enfants ! C’était un simple numéro, celui du moule dans lequel avait été fabriqué le verre... Il existait 48 moules. Avoir 80 ans dans le marc Duralex était donc impossible. Ouf !
Mais s’il fallait retenir qu’un seul chiffre, ce serait plutôt le 46. Cette année-là, au sortir de la deuxième guerre mondiale, l’entreprise Saint-Gobain cherche à fabriquer des vitres de voiture particulièrement résistantes. Elle élabore un verre trempé et pressé qui donne à l’époque une transparence et une qualité visuelle jamais obtenues jusqu’alors. En outre la résistance aux chocs est deux fois et demi plus importante que celle d’un verre classique. Les ingénieurs flairent alors un marché prometteur dans le secteur de la vaisselle.
Le verre Duralex sort donc en 1946 des usines de La Chapelle-Saint-Mesnin, près d’Orléans. Il est légèrement ventru, avec un numéro sur le fond et une ligne gravée pile en son milieu. Cette rayure concentrique servait d’ailleurs à Mamie comme marque de dosage dans les recettes.
Un objet culte vient de naître, qui deviendra, toujours d’après Mamie "la tour Eiffel de la table".
Son nom, Duralex, est une allusion à une citation latine : Dura lex sed lex (la loi est dure mais c’est la loi). le verre est en effet réputé incassable. Les économes de toutes les écoles passent commande, sachant que les dégats seront limités et que les utilisateurs ne risqueront pas de se couper.
A l’époque, la publicité incite même à l’éprouver : "Pour Duralex, quatre essais incroyables : utilisez-le comme un marteau, laissez-le tomber, tapez dessus, faites-le passer de la glace à l’eau bouillante". Le succès est fulgurant et traverse même les frontières.
Dans les années 70, il s’en vend dans 130 pays par millions d’exemplaires ! Un riche américain, amoureux de cet objet usuel, se fait même fondre un verre Duralex en or massif. Solides et bon marché, des cousins Duralex font alors leur apparition : assiettes, plats, tasses, carafes et autres saladiers en verre trempé... Ils feront les beaux jours des centres aérés, hôpitaux et écoles de la France entière.
Pourtant, le verre Duralex entame son déclin au début des années 80. Faut-il chercher dans sa nature même la clef de sa mévente ? Trop résistant, il n’a pas besoin d’être remplacé. En 2005, Sinan Solmaz, un homme d’affaire turc, fait l’acquisition de Duralex. Ce grossiste en vaisselle croit au potentiel identitaire de la marque : "Duralex est un grand nom en Turquie, en Inde, en Espagne, partout dans le monde. Il existe même une photo de Ben Laden avec un verre Duralex à la main !"
Ma Mamie l’ignorait !
Collection "Les choses de Mamie"
Mamie boit dans un verre Duralex - Mamie porte le n°5 - Le bol de chocolat chaud - Le cadeau Bonux - Les pantoufles - Les pâtes alphabet - Le vélosolex - La "bleue" - Le Bikini - L'accordéon - Super Cocotte - Mamie roule en DS - Le béret béarnais - Le savon de Marseille - Les cachous Lajaunie - Le couteau Opinel