"La colo.
Ma mère avait tenu à me fourrer en colonie de vacances. Elle pensait que j'y mangerais mieux et que je m'ouvrirais à la collectivité. Foutaises.
Ce fut évidemment l'inverse qui se produisit, je crevai la dalle un mois, et le seul terme de "balle au prisonnier" me donnait envie de vomir. Le martyre !
Je refusai de remettre ça l'année suivante mais elle m'assura que j'étais sans doute mal tombé et que ce serait totalement différent cette fois puisque c'était en Bretagne et que comme elle disait : La Bretagne, ça vous gagne.
Oui mais non.
Ni une, ni deux, j'ai mis Mamie dans la confidence. Après tout, foutu pour foutu, il fallait trouver la parade.
Nous décidâmes donc d’un code. Il était simple. Si je commençais ma missive par "Chère Mamie", c’était le signe que tout allait bien, mais si le début était "Très chère Mamie", c’était le signal du désespoir, et que je me trouvais plongé dans le chaudron de l’enfer. Il était entendu que dans ce cas-là, Mamie bondirait dans le train le plus express pour me sortir de ce guêpier (traduction : nid de guêpes).
Nous n’étions pas arrivés qu’un cri retentit : "Balle au prisonnier !" Tiens donc. Il avait été poussé par le mono, chef Marcel, qui, dès le premier regard, m’avait paru plus con que celui de l’année d’avant. Bref, après avoir pataugé dans la boue pendant trois quarts d’heure en tentant d’éviter un ballon lourd comme un boulet de fonte et propulsé par chef Marcel et ses petits bras musclés, ce fut le repas.
Les nouilles de l’an dernier réapparurent, je les reconnus parfaitement, aucun doute à avoir, c’étaient les mêmes. Et je ne parle même pas des carottes. Elles étaient cuites !
Je dus alors me rendre à l’évidence : rien n’avait changé, c’était même encore pire car il y avait baignade tous les jours et chef Marcel jusqu’à la fin du mois. Lorsque vint l’heure de la lettre à la famille, je n’hésitais pas une seconde : "Très chère Mamie."
De mémoire, j’ai souligné Très de trois traits, le T occupait à lui-seul la mi-hauteur de la page. les censeurs qui lisaient les missives ont dû penser que, vraiment, j’aimais beaucoup ma Mamie pour lui exprimer mon adoration avec une telle épistolaire vigueur.
Mamie tient parole, elle sauta dans le premier train vers la Bretagne, changea trois fois dans des gares humides et m’arracha à mon calvaire.
Et vingt ans passèrent.
Vingt ans plus tard donc, elle dut subir une radiothérapie et les médecins préconisèrent une maison de repos chez les Biarrots. Je la mis dans le train à la gare de Carmaux. Avant que je ne quitte le wagon, elle m’arrêta, la main sur mon bras.
- Si je ne suis pas bien, je t’écris et on fait comme la dernière fois pour toi. Si j’écris "Très cher petit", tu viens me chercher.
Je protestai qu’il n’y avait pas besoin de lettre, elle pouvait me téléphoner, les lettres n’étaient d’ailleurs pas lues. Elle n’en démordit pas.
- Avec le téléphone, on entend ce que tu dis, et les lettres, elles peuvent être ouvertes en cachette, comme, tu t’en souviens, le faisait le concierge de la rue des Camélias. Je préfère faire comme ça.
Ça n’a pas traîné. Quatre jours après, je recevais un "Très cher petit" de dix centimètres de haut, souligné au fluo. Je suis allé la chercher évidemment, je lui devais bien ça.
Quand elle m'a vu, elle m'a dit : "On m'oblige à chanter "Trois jeunes tambours" en canon pendant des heures, il pleut tout le temps et l'infirmier est un gros con. En plus, je mange tous les jours des haricots. C'est la fin."
Mon sang n'a fait qu'un tour, j'ai pris ma Mamie par le bras et j'ai lancé au gros con d'infirmier : "On se barre !"
En quittant ces lieux, ma Mamie rayonnait de bonheur, elle m'a lancé un regard plein de malice avant de glisser :
- Si on allait en Normandie ? On pourrait visiter le château de mon enfance.
Va pour la Normandie...
Collection "Mamie en ballade"
La routurière - Mamie à Lagrave - L'Hôpital - La maison de retraite - Mamie chez les Bretons - Mamie voulait revoir sa Normandie ! - La fouace Normande - La campagne, ça vous gagne...