"Le guide.
Les confidences ne suffisent pas m'a dit ma Mamie. Pour que le spectacle ne soit pas une coquille vide, il te faut t’imprégner des lieux et des chemins que j'ai emprunté quand j'étais gamine pour coller à la réalité. Du coup, je suis retourné avec Mamie dans un château Normand qui avait bercé ses rêves d’enfants. Ceci étant dit, je reste aujourd'hui encore persuadé que ce château n'était qu'un prétexte. Mamie voulait revoir sa Normandie, un point c'est tout.
Revenons au château de ma Mamie. Le maître des lieux avait embauché pour guide un vieux monsieur à la retraite qui résolvait avec succès l’épreuve du multilinguisme. Nous étions, ce jour-là, six visiteurs, et il nous avait divisés en deux groupes, les Français et les autres. Les autres étaient un couple d‘Anglais visiblement égarés, qui devaient être partis le matin à la recherche du Mont Saint-Michel et qui s’étaient rabattus, faute de mieux, sur ce gros manoir sympathique.
Le vieux monsieur commença la visite par notre groupe, en nous entraînant dans un superbe pigeonnier où il nous expliqua que plus il y avait de pigeons, plus le châtelain était important : ce devait être un peu plus compliqué que ça, mais je reconnais n’être jamais très attentif lors des explications d’un guide. En revanche, ma Mamie n’en perdait pas une miette.
Lorsqu’il eut fini avec nous, il se tourna vers les deux Anglais et entama une gesticulation stupéfiante. Il commença d’abord par se transformer en pigeon en utilisant les techniques du mime : jambes tendues, le cou animé de mouvements avant-arrière dans le sens de la marche, les poings aux hanches, agitant les coudes pour évoquer les ailes : ce fut si parfait que j’eus peur un instant qu’il ne s’envolât de l’édifice.
Après qu’il se fut bien assuré que ces deux étrangers avaient compris qu’il était un pigeon et qu’ils se trouvaient dans un pigeonnier, le reste fut facile. Quiconque a déjà mimé un pigeon sait pertinemment que mimer un duc satisfait d’avoir beaucoup de pigeons est une simple formalité. Il suffit d’évoquer une couronne en effectuant un cercle avec l’index au-dessus de la tête, de prendre un air dédaigneux, de se pavaner un peu en désignant les multiples trous du pigeonnier, et le tour est joué !
Je ne suis pas certain du tout que malgré le talent de l’interprète, les deux Anglais aient compris de quoi il s’agissait. Ils paraissaient assez surpris, voire perplexes, et terminèrent désorientés lorsque leur cicérone, usant toujours du mime, leur fit un bref résumé de la guerre de Trente Ans.
Mamie de son côté était aux anges, elle avait retrouvé le château de son enfance. Une visite qui l'avait mis en appétit. "Une fouace ?" suggera-t-elle.
"Tu veux manger une fouace Mamie ?"
Ma Mamie eut un geste pour se lécher les doigts mais se reprit.
Va pour une fouace...
Collection "Mamie en ballade"
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