"Une photo, là, sous vos yeux.
Quand papi a demandé à Mamie où elle voulait partir en vacances, la réponse à fusée : "A Tombouctou !". La réponse peut surprendre. Mais ma Mamie n'a jamais été emprunté les circuits aseptisés des tours-opérateurs.
Elle préfère l'aventure, vous le savez aussi bien que moi. Alors pourquoi Tombouctou ? La suite appartient à l'Histoire. Magnéto Mamie :
"Un homme s'avance sur la piste africaine.
Il marche depuis si longtemps que l'épuisement le guette. La fièvre le mine, une plaie ouverte s'agrandit à l'un de ses talons. Pourtant, il marche.
Or il n'est pas arabe. Il est chrétien et français. Autour de lui, nul ne le sait. Si on connaissait la vérité, l'homme périrait.
Tous les Européens qui, jusque-là, se sont hasardés dans cette zone inexplorée de l'Afrique ont été mis à mort. Si l'homme à bout de fatigue ne se laisse pas tomber là, sur la piste, s'il s'acharne à suivre la caravane, c'est qu'un but unique le soutient.
Dès son enfance, il en rêvait.
Depuis, il n'a cessé de tendre toutes ses forces pour l'atteindre : il veut être le premier Européen à découvrir Tombouctou. Tombouctou la fabuleuse !
L'homme qui a juré d'entrer le premier dans la ville mystérieuse s'appelle René Caillé.
Quel contraste entre le continent qu'il tente de violer et le pays où il est né !
Il a vue le jour en Aunis dans le Poitou. Son père était garçon boulanger. Il ne l'a jamais connu en tant qu'homme libre. Quand il est né, François Caillet venait d'être condamné à dix ans de bagne pour avoir volé quelques sous dans un cabaret alors qu'il était ivre.
Dix ans pour quelques sous ! Irrésistiblement nous pensons à Jean Valjean des Misérables qui accomplit, à la même époque, dix-neuf ans de bagne pour avoir volé un pain. Assurément, la société de ce temps n'était pas permissive.
En 1808, François Caillet meurt au bagne à l'âge de 46 ans. Il ne lui restait plus qu'une année pour achever sa peine !
Trois ans plus tard, sa veuve le suit dans la tombe. Voilà René orphelin a douze ans. René quitte l'école. Il ne trouve de réel bonheur que dans sa chambre où il dévore des récits de voyage. Il lit et relit l'histoire de Robinson.
Il se fixe un premier but : connaître les Antilles. Après quoi il passera en Afrique et, si Dieu le veut, il atteindra Tombouctou.
"La plus grande ville que Dieu ait créée" a écrit dans son Itinéraire l'Arabe Mohamd Ibn Aly Foul. Caillé n'hésite plus : c'est à Tombouctou qu'il ira un jour.
L'oncle refuse d'abord cathégoriquement, estimant que mieux vaut devenir un bon cordonnier que de courir derrière un rêve impossible.
Devant l'obstination de l'adolescent, il faiblit et donne son consentement. Le village s'effare : "Il part !" On procède même à une collecte auprès des voisins pour acheter au petit Caillé des chaussures convenable. Mais comment trouver un passage sur un bateau ? Comment le payer ?
Or on apprend qu'une expédition s'organise à Rochefort. Il s'agit d'aller reprendre le Sénégal que nous a restitué le Traité de Paris. La solution est là.
Quand René quitte son village, il n'a que seize ans et demi. Il porte sur lui, en plus des souliers neufs, soixante francs, surplus de la collecte.
L'expédition en question est commandée par Hugues de Chaumareys, un marin de carrière qui, à peine revenu de l'émigration, a pratiquement tout oublié des choses de la mer.
L'escadrille qui est placée sous ses ordres comprend quatre navires. La méduse, L'écho, La Loire et L'argus.
Ce n'est pas sur la Méduse que la bonne étoile de René Caillé le conduira mais sur La Loire. Chacun connaît la suite.
Cinglant vers saint-Louis du Sénégal, La Loire, L'Argus et L'Echo navigueront en haute mer, cependant que l'incapable Chaumareys conduira tout droit La Méduse vers le redoutable banc d'Argauin sur lequel elle échouera. L'une des plus mémorables tragédies de la mer va s'engager.
C'est profondément impressionné par l'affaire du radeau de La Méduse que Caillé va débarquer à Saint-Louis du Sénégal.
Dans l'instant, il ressent le choc auquel il a rêvé depuis si longtemps.
L'Afrique qui se présente sous ses yeux n'est pas inférieure à ses songes.
Saint-Louis a été édifié sur un banc de sable et, devant Caillé, s'étalent ses cases en roseaux et ses maisons - fort rares - peintes d'un lait de chaux d'une éclatante blancheur.
Il croise les Maures, les Foulahs, les Yoloffs avec une certitude : ici, il est chez lui.
Le gouverneur anglais va se charger de le détromper. il estime l'arrivée de l'expédition prématurée. L'équipage de la Loire doit se rembarquer et aller jeter l'ancre dans la rade de Gorée, en face du village de Dakar.
Le 20 novembre, les anglais de Saint-Louis consentent à céder la place. Le gouverneur français s'empresse de partir pour saint-Louis où il s'installe. Caillé le suit.
Il est aux aguets.
Alors commence une marche insensée, épuisante, le long des dunes du Cap Vert. Des marais qui croupissent à sa gauche surgissent des crocodiles. Caillé a résumé ce martyre par une phrase qui dit tout : "Je crus que je succomberais avant d'arriver à Dakar."
Il y parvint pourtant, épuisé. Il passe dans l'île de Gorée où, atterrés par l'état où il se trouve, des gens compatissants lui jurent qu'il n'arrivera jamais en Gambie. Le plus dur reste à faire.
Caillé se laisse convaincre.
Il rencontre un officier qui comprend vite que ce jeune homme singulier ressent avant tout une soif inextinguible d'aventure. Il lui procure un passage gratuit sur un navire qui lève l'ancre pour la Guadeloupe. La Guadeloupe, pourquoi pas ? A peine y-a-t-il débarqué qu'il ne songe qu'à en repartir. C'est l'Afrique qui le hante. Rien d'autre.
Pendant quatre ans, il voyagera entre Bordeaux et les Antilles au service d'une maison de vins. Que l'on ne croît surtout pas que son rêve africain est mort ! Il en parle si bien à son patron que celui-ci l'expédie au Sénégal. Quand il touche de nouveau la terre africaine, il a vingt-cinq ans.
Son rêve est devenu une obsession : il faut, il faut absolument qu'il découvre Tombouctou.
La folle histoire du vainqueur de Tombouctou :