"Une photo, là, sous vos yeux.
Une photo de Napoléon III qu'on ne présente plus... Portrait :
Sa vie, depuis l'âge de raison, est ordonnée vers un but unique : le pouvoir.
Ce rêveur est un volontaire. Défaut et qualité qui vont souvent de pair. Cet ambitieux n'est pas un ascète : plus sensuel que sentimental, la conquête des coeurs féminins l'a toujours agité.
Ses préoccupations amoureuses, il les a traînées avec lui aux Tuileries. Elles ne l'abandonneront jamais. Aux derniers jours de son règne, malade, vieilli, il ne pourra se défendre de considérer avec attendrissement un beau visage, une jolie tournure. Lui-même a dit que son coeur il le lui fallait toujours plein.
Certes, il n'est pas beau. Petit - 1 m 66 à 1 m 68 selon les signalements - il est épais de corps et court de jambes".
Tel quel, plaît-il aux femmes ? A cette question, la baronne du Montet a répondu on ne peut plus favorablement : "Ni sa figure, ni sa tournure n'ont rien de distingué." Ma Mamie renchérit : "En toute passion, son physique a dû le géner beaucoup." Sa mère elle-même ne s'est pas laissé aveugler. Elle a dit :
"Louis n'est pas assez séduisant pour que les femmes courent après lui."
Mais la demoiselle d'honneur d'Hortense, Valérie Masuyez, proteste : "Il a un air bon, sentimental, mélancolique, qui intéresse beaucoup." Mais Stéphanie de tascher proclame : "Il plaît et plaira quand il voudra."
Elle a raison. Depuis sa première adolescence, Louis-Napoléon a su se faire aimer des femmes. L'explication est double : d'abord il s'appelle Napoléon. Et son regard apparaît rempli de mystère.
Ce regard ! Il a inspiré diversement les mémorialistes, les historiens et les pamphlétaires. "Des yeux d'émail", "éteints", "l'impression d'être fixé comme à travers une vitre", "d'un voile de rêverie et de langueur".
C'est le point de vue masculin. Du côté féminin, on paraît ressentir des impressions très différentes, bien évidemment.
Un témoin déjà cité, ma Mamie, a confirmé ce jugement : "J'ai entendu, dit-elle, beaucoup de femmes se pâmer de ce regard ; ce qui est mystérieux et inintelligible attire toujours les femmes."
Mais lui, qu'en pense-t-il ? A son ancien précepteur - à ne pas confondre avec percepteur -, il écrivait : "Le vice du vin m'est entièrement étranger, car je ne bois que de l'eau, et, quant à l'amour, je ne le regarde que comme un goût, un passe-temps."
A ce passe-temps avaient collaboré - sans trop de réticences - un certain nombre de jeunes femmes des environs. D'ailleurs, lorsque la reine voyait son fils se lever de table avant la fin du souper, elle murmurait : "Quand on laisse un dessert, c'est que l'on court à un autre..."
Seulement voilà, les princesses ne voulaient pas de lui. Il fit alors le choix d’une bourgeoise. Elle était veuve, plus très jeune, mère de famille et ruinée. Mme Saunier serait devenue impératrice des Français si la reine Hortense n’eût mis le holà à ce projet saugrenu.
Elle expédia Louis en Angleterre sans soucis des larmes répandues par le jeune homme quand la voiture quitta Arenenberg. Il emportait le portrait en médaillon de Mme saunier et l’embrassait à chaque tour de roue. Quand s’acheva le séjour de Londres et que sonna l’heure du retour en France, Louis oublia le médaillon dans un tiroir. Comme quoi.
En quoi se confirmait la sagesse d’Hortense qui avait écrit à son fils : "L’amour est comme une maladie... Ce n’est pas la quinine qui la guérit, mais l’absence et la raison."
De son propre aveu, Hortense désirait à son fils "une bonne petite femme, jeune, bien élevée qu’il pourrait former à son caractère". Alors qui ? La fille du duc de Padoue ? Trop tendre. Mathilde alors ? Mais qui est-elle cette cousine ?
Elle a quinze ans, la fille du roi Jérôme - et il faut bien dire qu’elle est adorable. Elle le sait. Elle est fille et petite-fille de rois, nièces de deux empereurs. Elle le sait...
Justement, Hortense et son fils accueillent l’oncle Jérôme. Un homme qui a consacré sa vie à bousculer les coeurs, à commencer par celui de son excellente épouse, Catherine de Wurtemberg, morte quelques mois auparavant en soupirant : "Ce que j’ai aimé le plus au monde, c’est toi, Jérôme." Bref, il confie à sa belle-soeur ses deux enfants.
Les voici : le garçon, Napoléon, regard étincelant, mèche en bataille, menton romain, lèvre dédaigneuse. Déjà, on l’appelle Plonplon... Sa soeur, Mathilde, sourire et teint éclatants, taille souple, mince, élancée, épaules ployées très "mode", profond yeux noirs, admirables cheveux blond, en un mot : une bombe.
Elle écrira d’elle-même, sans inutile modestie : "Quant à moi, je puis dire que j’étais certainement une belle fille. La fraîcheur de mon teint était extraordinaire ; en m’appliquant étroitement une feuille de rose sur la joue, il fallait, pour la décourvrir, chercher attentivement."
Il y a plusieurs mois que Louis n’a vu Mathilde. Il ne saurait qu’être frappé par l’extraordinaire épanouissement d’une cousine parvenue à l’âge de Juliette.
Alors ?
En apercevant ce cousin, elle a le regard amusé de toute jeune fille sûre d’elle-même. Le premier jour, elle est déçue. Louis la snobe. Qu’à cela ne tienne ! Le soir elle descend à la salle à manger, si décolleté que Jérôme se fâche. C'est vrai quoi à la fin, à un moment donné, il faut arrêter les conneries.
Valérie Masuyer, la demoiselle d’honneur, constate : "Il avait raison, c’était trop de nu. mais tout ce qu’elle montrait était si joli qu’il y avait plaisir à regarder. Aussi, le prince la dévorait des yeux. Chez lui la chair est faible."
Jérôme parti, le flirt se poursuit de plus belle, observé attentivement par la perspicace Valérie Masuyer. C’est fait : Louis est amoureux et cette fois il semble que c’est la bonne.
Mathilde ?
Valérie s’avoue moins sûre des sentiments de la jeune fille. Ma Mamie n’y voit qu’une inconsciente jalousie. Elle en rajoute une couche : "Elle le poursuit dans tous les coins ; il faut qu’il s’occupe d’elle constamment."
Jour après jour, Valérie note les progrès de la "passion" du prince. Hortense qui rêve à sa jeunesse enfuie observe, elle aussi - mais sans amertume -, le jeu très féminin de Mathilde.
Les jours passent et ils ne se quittent plus. Il se met à genoux et fait près d’elle toutes les singeries d’un homme amoureux. Pour se donner l’air sentimental, elle affecte de ne pas manger, mais se bourre de gâteaux en cachette. Nos amoureux affectionnent les longues promenades qui vont bien avec les petits mots qui vont avec.
On guette les symboles. Un soir d’orage, un arbre se brise devant Louis. Aussitôt, il voit là une marque : "Notre mariage sera rompu par le sort !"
Le lendemain, le ciel est sans nuage, et le présage oublié.
La suite ? Les fiançailles avant la séparation au retour de Jérôme. La veille du départ, Mathilde, les yeux brillants de larmes, tend à Louis une canne dont le pommeau d’or représente une tête de chien.
"Faites attention, murmure-t-elle, que c’est un symbole de fidélité..."
Lui passe au doigt de sa "fiancée" une bague ornée de myosotis en turquoise : "Vergiss mein nicht. Ne m’oubliez pas..."
Tout est dit. Alors bien sûr, pour le mariage, il faudrait convaincre le roi Louis. On s’y emploierait... Donc, le 25 mai 1836, Mathilde et Louis, éplorés, se séparaient pour quelques semaines. Pourtant, ils ne se revirent que douze ans plus tard. Entre temps, elle épousa un prince russe.
Un jour, seulement, il lui dira avec un peu de tristesse :
"Mathilde, si vous l’aviez bien voulu, vous seriez ici, maintenant."
Elle n’avait pas voulu...
Elle n’eut jamais de remords, mais sûrement regretta son "erreur". Elle camoufla ses regrets en raillant son impérial cousin :
"Un homme qui ne se met jamais en colère. Mais moi, si j’avais épousé cet homme-là, il me semble que je lui aurais cassé la tête pour savoir ce qu’il y avait dedans !"
C’est alors que vint Eugénie...
Elle va lui résister et ça, il ne peut pas le supporter.
Les jours passent et elle se refuse toujours . elle hausse les épaules quand sa mère la chapitre sur ce point très précis.
Faut-il croire un chroniqueur ? A Compiègne, Napoléon aurait été jusqu’à s’introduire, de nuit, dans la chambre de la jeune fille. L’architecte Lefuel aurait collaboré à cette entrée avec effraction, en perçant le mur de la chambre d’Eugénie. Celle-ci demeura très calme. Elle ramena sur elle les couvertures, et elle dit seulement :
"J’avais cru venir dans la maison d’un gentleman."
Tout penaud, l’Empereur des Français "reprit sa route mystérieuse, emportant sa courte honte et mordu par un amour qui ne le laissait plus son libre-arbitre".
Mais les difficultés s'amoncelaient. Tous les proches soulignaient l’effet désastreux d’un mariage avec Eugénie de Montijo. Les jours passaient.
Napoléon ne se décidait pas à trancher dans le vif. Epouser Eugénie coûtait à l’Empereur. Renoncer à elle coûtait à l’homme.
La suite ? Une demande en mariage avec une réponse positive à la clé. Et au diable les varices.
Le vieux Dupin ajouta : "L’empereur fait bien d’épouser qui lui plaît et de ne pas se laisser marchander quelque scrofuleuse princesse d’Allemagne aux pieds larges comme les miens. Du moins, lorsque l’Empereur baise sa femme, ce sera par plaisir et non par devoir."
Le peuple approuva.
La fin ? Des mauvaises langues ont dit que l’empereur couchait avec toutes les femmes sauf avec l’impératrice. C’est faux. Enfin, c’est pas tout à fait vrai.
"L’impératrice, je lui ai été fidèle pendant les six premiers mois de notre union, dira plus tard Napoléon III à la princesse Mathilde, mais j’ai besoin de petites distractions, et je reviens toujours à elle avec plaisir."
Il faut dire aussi qu’Eugénie était froide comme un frigo. Elle avouait ne rien comprendre à l’amour physique. De l’incompréhension, on passe vite au dégoût ; un jour elle dit de l’amour : cette "saleté". On comprend que Napoléon ait cherché ailleurs la chaleur qu’il ne trouvait guère dans son lit conjugal.
Peut-être avait-il sa part de responsabilité. S’il faut en croire certaines confidences, ce frénétique n’était pas un amant très satisfaisant. On peut même parler de très mauvais coup. L’une de ses belles amies que ne connaît pas ma Mamie en fit l’aveu, sous une forme originale :
"L’empereur ? dit-elle en faisant la moue, on sait tout de suite ce qu’il pense..."
Eugénie apprit vite les "écarts" de son mari. Elle en souffrit.
Elle choisit le plus mauvais parti : elle se montra jalouse, en privé et en public. Lui courbait la tête attendant que s’éloignât l’orage.
Eugénie, à bout d’imagination, avoua :
"J’ai tout essayé, même de le rendre jaloux !"
Pauvres ruses bien innocentes. Les liaisons de Napoléon apparaissent bien plus consistantes. Des femmes promptes à obéir à son désir, il en trouva dans toutes les classes, et en tous les lieux, mais d’abord à sa cour.
Quant à Eugénie, on peut comprendre sa souffrance, ce règne qui s’est ouvert par un mariage d’amour s’est par trop fermé à l’amour. Il est triste que l’amour se soit surtout cantonné dans l’adultère. Mais l’amour supporte mal les barrières.
Le jour vient - toujours - où il les rejette. Où il reprend dans la vie la seule place qu’il tolère et exige : la première.