"Une photo, là, sous vos yeux.
Une photo prise à un bal. Oui, ok d'accord mais quel bal ?
Un bal où Alexandre Dumas fils, baigné de tristesse, venait de prendre la résolution de quitter ce bal décevant, quand, soudain, il it s’approcher de lui une beauté fatale. Le coeur d’Alexandre se mit à battre au rythme des grandes espérances. Cela se vit sans doute sur son visage car la personne - masquée - le détrompa sur-le-champ :
"Je ne viens pas vous intriguer", dit une voix rieuse. Alexandre ne répondit rien. Il dévorait des yeux son interlocutrice. Le déguisement laissait deviner une fort jolie femme... Elle poursuivit :
"Je viens faire connaissance avec vous, somme si nous étions dans un salon. Je me nomme Mme de M. Me connaissez-vous ?
- De réputation, seulement.
- Et l’on vous a dit de moi ?
- Que vous êtes très jolie, très spirituelle et... très gaie.
- Voulez-vous vous assurer du fait ?
- Je ne demande pas mieux.
- Venez mardi, passer la soirée chez moi.
- A quelle heure commence la soirée chez vous ?
- Comme partout ; quand on arrive.
- Et elle finit ,
- Quand on s’en va."
L’entrée en matière était charmante. Mais qui est Madame de M. ?
Elle avait été mariée fort jeune à un "étranger de distinction". Sept années s’étaient écoulées d’une union qui ressemblait à tant d’autres unions.
Puis, un beau jour, le scandale avait éclaté, fracassant : M de M... chassait sa femme de la maison conjugale.
La raison ? La plus simple et la plus vieille du monde.
Pénétrant à l’improviste dans la chambre de Mme de M..., son époux avait troublé sans le vouloir "une conférence" que le droit de réunion, proclamé tout récemment, n’autorisait pas encore".
Colère. Duel. Le mari blessé par l’amant. La femme répudiée.
Il fallait s’y attendre : le monde avait fermé sa porte "au nez de la maladroite qui avait oublié de fermer la sienne".
Mise à l’index, Mme de M... n’avait le choix qu’entre deux partis : se condamner à une retraite dont elle sortirait peut-être, absoute devant le monde, quelque dix ou quinze ans plus tard. Ou bien afficher sans hésitation "sa faute". Affronter ses contemporains le front haut. En un mot, vivre "en marge". Mme de M... n’était pas la femme des renoncements. Elle prit le second parti.
Le mardi suivant, Dumas fils sonnait chez Mme de M.
Le lieu ? Un salon Second empire. Des meubles lourds, des dentures pesantes. Du rouge et de l’or.
Ce qui frappa Dumas, c’est que tout le monde se tenait fort bien. Un observateur non averti se serait cru introduit dans une société du meilleur aloi. Un sourie de Mme de M... avait accueilli Dumas. Le sourire d’une femme qui a beaucoup pratiqué le monde et qui sait exactement ce qu’elle doit à ses hôtes.
Présentations. Conversation.
Puis la porte se referma sur la baronne et ses filles. Mme S... quitta brusquement le piano et s’écria, l’oeil soudain allumé :
"Dîtes-donc mes enfants, maintenant que la baronne et ses deux petites grues sont parties nous allons rire un peu, n’est-ce pas ? Ce n’est pas drôle ici !"
Extraordinaire changement à vue. D’un salon guindé, Dumas se trouvait transporté dans un mauvais lieu. Ces femmes du monde se muaient - visages, regards, allures, paroles - en courtisanes.
Tout contribua à imposer cette impression : "baccara, souper, anecdotes graveleuses, désinvoltures de toutes sortes et facilités en tout genres". La seule différence ? Le lendemain, nulle facture serait présenté à Dumas, "l’amour étant ici volontaire et gratuit".
Rideau.