"Les Polonais.
Le voisin de Mamie était Polonais. Quand il est arrivé, il ne parlait pas un mot de français, mais dès le lendemain de son arrivée, le garde est venu frapper à sa porte, demandant à ce qu'il vienne travailler. Il n'a pas fait long feu et est mort à 51 ans. Ils ont massacré une génération. Aux Calmettes, la moyenne de vie c'était 35-40 ans, pas plus. On appelait ça la cité des veuves. Papi m'a dit, qu'un jour, alors qu'il était avec son beau-frère en moto, il lui avait dit : "Ne t'arrêtes pas pour pisser ici, tu vas te faire prendre au lasso !"
Dans les années 20, deux milles familles Polonaises sont arrivées sous contrats pour travailler dans les mines. Il y avait des recruteurs en Pologne. S'il n'y avait pas de garçons dans la famille, ils ne prenaient pas le père ! Ils venaient tous de Westphalie, c'était un peu des Allemands. Mais quand on parlait, ils ne voulaient pas dire qu'ils étaient Allemands, ils disaient : "On est des Polonais !"
Ils sont arrivés avec leur façon d'être, de vivre. Il y avait une journée par semaine ou une heure par jour des cours de Polonais. Tout ce qui était catéchisme, c'était Polonais. Il y avait même des scouts Polonais. Quand ma Mamie est arrivée à l'école primaire elle ne parlait pas français non plus. Elle avait attrapé une baffe le premier jour de maternelle par l'instituteur. "Je me souviens parfaitement, c'était M. Auchard, un petit merdeux à lunettes." M. Auchard n'aimait pas les Espagnols. Il n'aimait pas les Polonais non plus.
Ma Mamie les aimait bien, les Polonais. Et puis, ils étaient élégants. Ils s'habillaient mieux que les Français, elle m'a dit. Surtout le dimanche. La femme portait alors un tablier blanc et une tenue différente et le monsieur avec chapeau et cravates pour aller à la messe. L'église était toujours pleine. A Noël, ils s'habillaient en folklorique, ils chantaient des cantiques polonais, ils tapaient à la maison du coron pour boire un verre avec Mamie et Papi qui disaient alors : "C'est pas de refus."
En revanche, elle m'a dit qu'"ils ne mangeaient pas comme nous autres. Eux, ils faisaient cuire le bifteck avec du Saindoux, mais ils rajoutaient de l'eau pour faire la sauce pour les frites, nous, on ne rajoutait pas d'eau. Et ils mangeaient aussi beaucoup de pâtisserie, ça ne nourrit pas son homme la pâtisserie. Une fois on est allé chez eux avec Papi, on buvait tous dans le même verre, qui tournait autour de la table. Du Cognac ou de la vodka, ils faisaient tous leur alcool avec du 90°. Fallait pas s'attabler avec des Polonais !"
On dit saoul comme un Polonais, mais ce n'était pas négatif. Un mineur Polonais, il savait boire et allait travailler dans la foulée comme si de rien n'était ! Ils étaient comme ça les Polonais. Ils pouvaient faire la noce jusqu'à trois heures du matin, ça ne les empêchait pas d'être au charbon à 6 heures.
C'était parfois un peu dur pour le porion d'épeler le nom des Polonais. Alors il les appelait par leur numéro. Papi aussi avait un numéro de matricule, c'était le 20426. Il m'a dit qu'en fait, ils ont "foutu la merde", les Polonais. Il a ajouté : "Avec eux, il y a eu une augmentation de la cadence et du coup, on n'avait plus le temps de manger le briquet et on nous demandait de plus en plus de rendement. Ça a toujours été ça, les Polonais ont toujours travaillé d'avantage".
Les Polonais ne se mariaient pas avec des Françaises. On ne se mélangeait pas. Ils avaient aussi une belle réputation de musiciens. Ils faisaient des mariages superbes, avec musique, dentelles, ils se baladaient et nous donnaient un verre de vodka et de platsek. Ils faisaient la noce toute une semaine ! Ils mangeaient beaucoup de cornichons, parce que ça les empêchait d'être saouls !
Si ma Mamie le dit...