"Une photo, là, sous vos yeux.
Aucun doute à avoir, au premier plan, c'est Lucien Blacquier. Et il n'a pas l'air d'être dans son assiette. Derrière lui, c'est la cohue. Ma Mamie raconte la suite :
"A la récréation, nous jouions à la guerre : les garçons se divisaient en deux camps et nous étions obligés, nous les filles, de faire les espionnes. Comme nous étions immanquablement interceptées par l'un ou l'autre camp, on nous roulait dans le gravier de la cour. J'avais dix ans."
Dix ans. L'âge où les garçons ont des billes plein les poches. L'âge aussi où ils prennent les filles pour des cloches. Les quilles à la vanille et les gars en chocolat comme disait Papi.
Et tout le monde joue. Tout le monde sauf le petit Blacquier.
Regardons-le encore ce morpion avec sa tête de premier de la classe : on l'imagine lever le doigt pour moufter - quand un copain colle un Chewing-gum sous le pupitre - comme tous les fayots qui se respectent.
On le devine bouquiner La chèvre de Mr Seguin - en buvant une limonade à la paille - pendant que ses camarades jouent avec un cerf-volant.
Pas de cabane, ni de sarbacane au menu de la journée du petit Blacquier. Pas le genre de la maison.
Parlons-en de la maison des Blacquier. Un papa qui est vicelard comme pas deux et une maman qui ne vaut pas mieux.
Dans le quartier, tout le monde sait qu'elle se déloquait tous les soirs sur son balcon - et il y avait du monde au balcon, si je peux me permettre l'expression... - devant la caserne des pompiers, qui la zieutaient comme un incendie de forêt. Avec ça, il ne faut pas s'étonner que le petit file du mauvais coton.
Mais revenons à nos moutons - et à la photo -, et posons nous la question : qu'est-ce qui le turlupine à ce point ?
Ouvrons le dossier Blacquier :
Est-ce une mauvaise note ? Une interro-surprise qui lui est restée en travers de la gorge ? La dictée de trop ? Non, non et non, cent fois non.
Si Lucien - "Lulu" - n'est pas bien, c'est pour une raison bien déterminée. Il a déconné...
C'est ma Mamie qui m' a apporté la réponse de la photo sur un plateau. Elle nous lâche le morceau :
"Je me souviens très bien de ce crétin de Blacquier. C'était le voisin de chaise de ma copine Amélie. Un jour, je la trouve en larmes dans les toilettes - à côté des savons jaunes accrochés au mur -, elle m'avoue qu'en classe, Blacquier lui glissait la main dans sa culotte Petit-Bateau en murmurant :
"Si tu dis quelque chose, tu iras en prison parce que mon père est député."
Voilà qui dispense Mamie de bien des explications. Quand même, ce Blacquier, quel toupet !
Inutile d'écrire que quand ma Mamie a appris le fin mot de l'histoire, son sang n'a fait qu'un tour.
Une envie, une seule : en découdre avec ce tordu - qui allait l'avoir dans l'oeuf - et lui foutre une branlée !
Une réaction démesurée ? Pas si sûr.
Il faut la comprendre. Et d'une, elle n'a jamais aimé les députés et de deux, elle n'a jamais pu encadrer le petit Blacquier.
Bref, ni une, ni deux, elle est entrée en classe - en furie - pour empoigner ce peigne-cul de Blacquier, prête à n'en faire qu'une bouchée. Mais c'était sans compter sur l'intervention de la maîtresse accourue pour les séparer.
Dommage, après tout. Mais ce n'était que partie remise parce qu'en allant au coin - avec le bonnet d'âne ! -, ma Mamie a quand même pu lui balancer cette phrase lapidaire :
- Je vais te couper la zigounette Blacquier si tu continues. Et si tu m'cois pas. T'ar ta gueule à la récré !
"Une photo, là, sous vos yeux" :
Lucien ; Marcelle ; Françoise ; Madeleine ; Angele ; Sarah ; Yvonne ; Eléonore ; Fernandel et Raimu ; Antoine et Charles ; Georges ; Plus belle la vie