"Ami, entends-tu...
Avertissement : "Les résistants de 1945 sont, parmi les combattants, ceux qui méritent le plus d’estime et le plus de respect parce que, pendant plus de quatre ans, ils ont courageusement et héroïquement résisté à leur ardent et fervent désir de faire de la résistance."
"Ici Londres, 1231 ème jour de la lutte du peuple français pour sa libération... Les Français parlent aux Français... Ici Jacques Duchesnes... Dans un instant vous allez entendre Pierre Dac."
Les innombrables auditeurs qui écoutent le programme français de la BBC n’en croient pas leurs oreilles.
Comme tous les soirs, après avoir tourné le bouton de leur poste tout en cherchant une fréquence qui échappe au brouillages, ils ont entendu le générique composé des premiers motifs de la Cinquième Symphonie de Beethoven et du célèbre Radio-Paris ment, Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand, écrit par le dessinateur Jean Oberlé sur l’air de la Cucaracha et tombent sur le Roi des Loufoques qui est au micro.
A l’autre bout des ondes, quelque part dans Paris occupé, une jeune femme blonde manque de s’évanouir.
"Il a réussi ! Mon Dieu comme il a du souffrir !" soupire-t-elle.
Elle s’appelle Raymonde Faure.
A Paris où elle est montée en 1930, on la connaît sous une autre identité, son nom de comédienne, Dynah Gervyl.
Depuis 1934, elle est la compagne du roi des loufoques.
Dès leur première rencontre, Pierre est tombé amoureux d’elle.
Les approches effectuées avec sa timidité habituelle ne se sont guère révélées concluantes. Il n’ose pas lui avouer combien il l’a trouve belle.
Et puis, s’il y parvenait, ça n’arrangerait rien, bien au contraire.
En effet, le 8 janvier 1929, il a épousé Marie-Thérèse Lopez, une Espagnole qui n’est pas vraiment à prendre avec des castagnettes.
Les deux ex tourtereaux ne se parlent plus depuis le lendemain de leur mariage.
Les psychologues appellent cela une erreur de jeunesse.
En septembre 34, voici Pierre et Dynah à nouveau réunis à la Lune rousse où la complicité est totale entre les deux partenaires. Héla, elle s’achève lorsque le rideau est tombé.
"Jamais je n’osera lui dire que je l’aime", se dit Pierre.
"S’il ne me dit rien, c’est que je ne lui plais pas", soupire Dynah.
Quelques jours avant Noël, Pierre n’y tient plus.
Il se décide à écrire à la belle la plus tendre et la plus sincère des déclarations d’amour. Dès réception de la lettre, elle se rend dans sa loge, et le billet doux encore dans sa main droite, elle répond "oui" avec un sourire épanoui.
Surpris par cette extraordinaire nouvelle, l’heureux élu ne parvient à murmurer qu’un seul mot :
"Ah !"
Leur liaison va se développer dans la clandestinité à l’insu d’une Marie-Thérèse dont le seul prénom terrifie le chansonnier.
Un soir de 1937, elle le surprend en train diner avec Dinah dans une brasserie.
Elle l’a suivie dans Paris afin de le surprendre en flagrant délit !
Sa réaction est aussi violente qu’immédiate : elle brise toutes les assiettes et les verres qui lui tombent sous la main.
Les maîtres d'hôtel parviennent à la maîtriser et lui demandent de se calmer ou de sortir.
Elle choisit la seconde solution et claque la porte.
Pierre qui n’a pas sourcillé depuis le début de la scène, demande que l’on mette les dégâts sur sa note et ajoute, à l’attention des autres convives : "Mesdames et messieurs, c’était une répétition générale. Demain, ce sera la première !"
Fin de l’histoire.
Quelques semaines plus tard, la procédure de divorce étant officiellement engagée, Pierre s’installe avec Dynah dans un charmant appartement, au 49 de l’avenue Junot.
La suite ? La guerre.
La capitulation puis l’affrontement sur les ondes où à partir des mélodies les plus populaires, Maurice Van Moppès trousse des couplets qui exaspèrent radio-Paris...
Sur l’pont de Londres,
Un bal y est donné (bis)
Hitler demande
A Goering d’y aller (bis)
Le Pas d’calais, c’est dur
A traverser (bis)
C’est difficile à Londres
D’arriver.
Sur l’air de J’ai du bon tabac, il fredonne gaiement :
Il n’y a plus d’tabac
Dans la France entière
Il n’y a plus d’tabac
Le Boch’ n’en manquent pas
Sur le thème bien connu de La plus Bath des javas, il s’exclame un peu plus tard :
Ah, ah, ah, ah, voyez ce que fait Churchill
Ah, ah, ah, ah, c’est la plus bath des javas.
Puis il décide de pasticher successivement Paul Misraki et Charles Trenet :
Laval pens’ que l’Allemagne
Comm’ de bien entendu
C’est plus facile qu’elle gagne
Comm’ de bien entendu
Il essaye d’ s’en sortir
Comm’ de bien entendu
Mais l’Allemagne et Laval sont deux bien pendus
Comm’ de bien entendu
Mais Boum ! C’est en Allemagne que, Boum !
Hambourg, Berlin font Boum !
C’est la RAF qui passe !
Boum ! Jour et nuit badaboum !
Au rythme de ces Boum !
Dans la Ruhr, il y a d’la casse.
Un autre refrain, immortalisé par Maurice Chevalier, n’échappe pas non plus à sa plume au vitriol :
Hitler et Hop la boum
V’là ton prestig’ qui s’entame,
Hitler et yop la boum
Tu vas t’fout’ sur l’macadam
En écoutant ses émissions, Pierre dac n’a plus qu’un désir : trouver le moyen de gagner Londres et se mettre au service de cette équipe exceptionnelle. Il y arrivera. Un jour dans les Pyrénées, il sera au bord d’abandonner quand son ami lui glissera à l’oreille : "Penses à Dynah."
Il repartira de plus belle.
A Londres, il passe à l’attaque et donne même des noms.
"Darnand, Joseph. Obersturmfuhrer de Waffen SS. Modèle parfait du nazi accompli. N’a pas hésité à s’intégrer corps et âme aux armées d’occupation pour mieux servir l’Allemagne."
"Pétain Philippe. Maréchal de France. Excellent serviteur de l’Allemagne. A couvert de son autorité et de son nom toutes les attaques contre l’honneur, la dignité et le patrimoine français."
"Laval, Pierre, Gauleiter d’élite, s’est fait remarquer par son dévouement absolu et de tous les instants aux intérêts du Fûhrer."
Au début du mois de mai 44, Jacques Duschene demande à Pierre de diriger ses flèches vers Philippe Henriot.
Ce militant d’extrême droite qui a été un des premiers à prôner la collaboration. Il a effectué sur Radio-Paris des interventions hebdomadaires puis quotidiennes. Ses cibles favorites sont les juifs, les résistants et les francs-maçons. "Merci du cadeau", réplique le chansonnier qui demande un quart d ‘heure de réflexion.
Le dilemme est presque cornélien. S’il échoue, il passe pour un imbécile mais s’il réussit, à tous les coups, on arrête sa femme...
Trois minutes plus tard, il a pris sa décision : il accepte cette mission.
Parce que c’est son devoir...
Dès le lendemain, il s’en prend directement à l’éditorialiste de Radio-Paris. Extrait :
"J’ai écouté le discours que M. Philippe Henriot vient de prononcer et où il touche du doigt le péril qui nous guette au moment où le bolchevisme plante partout son drapeau rouge. Si j’ai bien compris, voici comment - d’après M. Henriot - va se dérouler le processus des prochains évènements.
L’armée rouge va envahir la France et l’occuper, par moitié d’abord, en établissant une ligne de démarcation ; en totalité par la suite. Pas d’objection, monsieur Henriot ? Nous sommes bien d’accord ? Rien de similaire à signaler en ce qui concerne les Allemands. Bon. Etc Etc...
La réplique d’Henriot est sanglante :
"Cet Isaac André était bien entendu prédisposé à fuir la France. Mais là où nous atteignons les cimes du comique, c’est quand il prend la défense de la France. Et s’il s’insurge contre les Allemands, ce n’est pas parce que ceux-ci occupent la France dont il se moque, c’est parce qu’ils ont décidé d’éliminer le parasite juif de l’Europe".
La réponse de Pierre Dac est éblouissante, morceau choisi :
"Monsieur Henriot, puisque vous avez si complaisamment cité les prénoms de mon père et de ma mère, laissez-moi vous signaler que vous en avez oublié un : celui de mon frère. Je vais vous dire où vous pouvez le trouver ; si d’aventure, vos pas vous conduisent du côté du cimetière Montparnasse, entrez par la porte de la rue Froidevaux ; tournez à gauche dans l’allée et, à la 6ème rangée, arrêtez-vous devant la huitième ou la dixième tombe.
C’est là que reposent les restes de ce qui fut un beau, brave et joyeux garçon, fauché apr les obus allemands, le 8 octobre 1915, aux attaques de Champagne.
C’était mon frère.
Sur la simple pierre, sous ses noms, prénoms et le numéro de son régiment, on lit cette simple inscription :
"Mort pour la France, à l’âge de vingt huit ans."
Voilà, monsieur Henriot, ce qui signifie pour moi, la France.
Sur votre tombe, si toutefois vous en avez une, il y aura aussi une inscription ; elle sera ainsi libellée :
Philippe Henriot
"Mort pour Hitler
Fusillé par les Français..."
Bonne nuit, monsieur henriot. Et dormez bien. Si vous le pouvez..."
Le chansonnier ne se croyait pas si bon prophète.
Le 28 juin, des résistants parviennent à abattre Philippe Henriot.
Le 22 août, à l’heure où la rumeur de la libération de Paris se propage, le chansonnier quitte Londres et, le 23 au matin, pose le pied sur les côtes d’Arromanches.
Il affirmera alors : "J’aime les pays où, lorsque l’on sonne chez vous à 7 heures du matin, ce n’est que le laitier..."
Il arrive devant chez lui, jette un coup d’oeil angoissé vers la fenêtre du quatrième étage.
La concierge prononce alors les paroles toutes simples, mais qu’il n’oubliera jamais : "Ne vous en faites pas, elle est en face chez des amis, je vais la chercher..."
Trois minutes plus tard, il l’aperçoit enfin, "non pas toujours aussi jolie, mais toujours aussi belle que le jour où je l’avais quittée", avouera-t-il ensuite.
Larmes de joie et étreintes passionnées : l’hebdomadaire France-Dimanche décrira plus tard ainsi, ces retrouvailles tant attendues :
"Et comme il l’avait espéré, Pierre Dac a retrouvé sa femme sur le trottoir..."
Les vieux refrains sont alors obsoletes...
Ah ! ah ! ah ! ah !
C’est la défense élastique
Ah ! ah ! ah ! ah !
Y a rien d’plus chouett’ que c’truc-là.
Voilà les gars de la vermine
Chevaliers de la bassess’
Voilà les Waffen SS
Voyez comme ils ont fière mine
C’est dans le genr’ crapuleux
Ce qui s’fait d’mieux
Au lendemain de la fin des hostilités, Radio-Luxembourg prend la relève de Radio-Cité et du Poste parisien. Louis Merlin, génie des ondes, programme à nouveau Le crocher radiophonique, Sur le banc et les Incollables, le triomphe est immédiat et c’est reparti comme en quarante.
Rencontre ensuite avec Pierre Cour et Francis Blanche. Le premier est journaliste, le second est un fantaisiste qui promet. Il a débuté à Paris à la veille de la débâcle, en disant des fables de sa composition dans un cabaret. Il a ensuite écrit quelques chansons avec Gérard Calvi et Charles Trenet. Il est également le jeune et heureux auteur de On chante dans mon quartier, indicatif de Ploum Ploum Tralala, l’émission de radio la plus populaire de France, crée juste après la Libération et diffusée chaque jour à 12 h 30 par la Radiodiffusion française.
Ensemble, ils relancent L'Os Libre avec des petites annonces savoureuses :
"Mlle Yvonne R... de Suresne : La vie m’a douloureusement blessée... Il y a quinze ans de cela, mais la plaie est encore ouverte... Mon coeur saigne... Que faire ?"
"C’est très simple... Nettoyez d’abord la plaie avec de l’eau oxygénée... Puis faites un petit pansement avec un petit pansement et de la gaze... Quand il y a de l’eau dans la gaze, changez de pansement. Et si, malgré tout, votre coeur continue à saigner, alors voyez le pharmacien".
"Pâquerette oublié : Depuis quelques temps, mon mari semble m’ignorer... Il rentre le soir sans m’adresser la parole et son regard passe sur moi sans s’arrêter. Je ne compte plus pour lui... Je me sens seule et perdue..."
"Votre cas est sérieux, Pâquerette oubliés... Nous y voyons les premiers symptômes de l’oubli dans le coeur de votre époux.
Essayez d’attirer son attention par tous les moyens : jouez de la trompette quand il rentre, mettez un casque de pompier et une fausse barbe pour servir le potage, poussez des cris gutturaux et faites des claquettes sur la table avant de vous mettre au lit... Si malgré tout, il persiste à ne pas vous voir, alors... essayez le plastic et la dynamite, mais avec la plus grande prudence ! Attention à la vaisselle !"
Une rubrique que les auteurs concluent par un appel aux lecteurs ainsi libellé :
"Pour nous écrire, une seule adresse, la nôtre."
Mais les lendemains déchantent, on a plus envie de chanter la défense élastique. Et les chansonniers ne sont plus à la mode. En une décennie, l’argent est passé des mains des bourgeois à celles des commerçants débrouillards, surnommés les BOF (Beurre oeuf Fromage) parce qu’ils se sont créé leur capital en vendant des produits de première nécessité, pendant des années de marché aussi noir que la situation de la France.
Pierre va mal, il constate avec amertume que les notions de solidarité, voire de reconnaissance par ses amis intimes, se trouvent déjà rangés dans l’armoire aux souvenirs. "J’ai tiré une leçon de cette expérience, avoue-t-il. Je sais maintenant que je peux totalement compter sur mes amis lorsque je n’ai absolument besoin de rien..."
Il rédige alors sa biographie :
"Pierre Dac : Né à l’âge de quatre ans et demi par 25° de latitude sud-ouest. Titulaire du permis de conduire les bennes basculantes. Membre d’honneur de l’Amicale des pèlerines roulées. Fils de ses oeuvres et père des siennes. Signe particulier : cicatrice consécutive à l’opération du bouton de col incarné.
Fernand Rauzena : Est-ce qu’on appelle un enfant de la balle. Agé de vingt-sept ans, il compte maintenant quarante et un an de métier. Signe particulier : porte des chaussures de pointure différentes.
Les loufoques snt enfin de retour pour le plaisir des nostalgiques de L’Os a moelle qui se pressent chaque soir afin de vérifier la réalité du slogan imprimé en bas de l’affiche : "On pleure de rire de 21 h 17 à 23 h 58." Il n’est pas homme à avoir des regrets ; il est et demeure avant tout un créateur comme l’affirmera Roger Pierre alors jeune auteur d’une émission de Radio-Luxembourg parrainée par la Brillantine Roja.
Et c’est reparti pour un tour : "parti d’en rire... Parti d’en rire... C’est le parti de tous ceux qui n’ont pas pris de parti..." Il lance ensuite Chronique de la délation : "Si vous ne prenez pas contact avec nous, on dira pourquoi vous vous promenez dans une DS noire avec deux gardes du corps, on dira..."
Naîtra aussi radar Moustache. Le titre a été inspiré par un hebdomadaire spécialisé dans les faits divers et les affaires à scandales, dont le slogan est célèbre : "Radar était là."
Sur Radio-Luxembourg, c’est le temps de l’Académie joyeuse, Cent francs par seconde, Central 21-53, sans oublier Quitte ou double de Zappy Max.
Le Schmilblick : C’est dans la nuit du 21 novembre au 18 juillet dde la même année que les frères Fauderche ont jeté les bases de cette géniale invention : Le Schmilblick. Furax : Le succès dépasse tous les espoirs des responsables d’Europe 1.
Le feuilleton est programmé sept jours sur sept, le dimanche étant consacré au résumé des péripéties de la semaine. Pierre et Francis sont désormais les vedettes de la station au même titre que les meneurs de jeu, Pierre Bellemare, Maurice Gardett et Maurice Biraud.
Sur Radio-Luxembourg, les feuilletons comme ça va bouillir avec zappy Max, 42, rue courte, Tancarville et L’homme à la voiture rouge ont du succès, mais Furax bat tous les records de popularité. Peu après 13 heures, la France entière s’arrête pour écouter ses fabuleux exploits.
La consécration absolue se produit un jour de janvier 1957, quand Guy Mollet, alors président du conseil, interrompt un débat de l’Assemblée nationale en annonçant au micro : "Messieurs les députés ; continuez sans moi. Je vous quitte, je vais écouter Furax..."
La formule du générique va entrer dans l’histoire : "Signé Furax !"
Propos recueillis par son ami Jacques Plessis.
Pour les amateurs : Les souvenirs d'avant-guerre de Pierre Dac ; Les souvenirs de guerre de Pierre Dac