"Souvenirs d'école.
C'est un fait, on a tendance à ne faire guère attention aux enfants : ils sont petits, bruyants, remuants, chiants :
"Ôtes-toi de là", "Ôtes-toi du milieu", "Ôtes-toi de mes pattes", bref, l'enfant passe une bonne partie de sa vie à s'ôter.
Pour retenir un peu l'attention, il suffit juste au fond qu'il tienne à la main son carnet de notes.
"Ôtes-toi du milieu" devient alors : "Viens un peu par ici, toi, que nous examinions cela".
Personnellement, j'ai toujours préféré m'ôter du milieu. Sauf avec les femmes.
Je me comprends.
Autre fait indubitable : cela fait maintenant des décennies et on fêtera sans doute le centenaire très bientôt que les écoliers imitent ou tentent d'imiter la signature du chef de famille.
La fraude scolaire est aussi une institution. Je l'ai fait, j'arrivais à atteindre en cette matière une perfection absolue. Presque j'en voulais à mon père d'avoir une signature si facile à imiter. Bref, je suis devenu un crac en imitation pour éviter de prendre un coup de pied au cul.
"Vite fait bien fait, paf, une bonne gifle et on en parle plus."
Pas de lenteur, de réflexion, de doigté, de complications. Paf dans la gueule et s'est réglé.
"Et puis comme ça on en parle plus et Mimile il préfère ça, hein Mimile tu préfères ça ?
Mimile : "Oh oui, papa, je préfère ça."
- Vous voyez, qu'est-ce que je vous disais, il préfère ça."
C'est comme ça, il semble dorénavant acquis qu'il est difficile de passer sa vie sans donner de cou de pied au cul. La constitution de l'individu étant telle qu'au bout d'un certain niveau d'agacement, l'homme est un football pour l'homme.
J'ai connu un instituteur vanné, excédé, pour qui en fin de journée tous les culs des enfants étaient des ballons.
Je le revois shootant dans tous les sens, marquant des buts comme Platini. C'était plus fort que lui.
Et puis, il y a les autres élèves aussi. Les petits camarades...
Une règle essentielle de communication veut que les égaux sont rassurants.
Phrase choc :
"Et puis à l'école, tu te feras des petits camarades..."
Exacte sans doute mais il ne faut pas oublier qu'on s'y fait aussi des ennemis.
Avec les phénomènes de leaders, de têtes de Turc, de cafteurs, de chouchou, de lécheurs, de cancres invétérés, de grandes gueules, de forts en thème, de fiers-à-bras et autres voleurs de billes.
J'en passe évidemment.
Et puis, il ne faut pas oublier que la première classe, c'est le passage à la communauté. On était seul peinard, ou avec le petit frère ou la grande soeur, bref à la maison et voilà le plongeon au milieu des autres, une trentaine d'inconnus où le hasard règne. Et on sait, vous savez, que le hasard fait rarement bien les choses.
Et comme par hasard, je me suis coltiné du cours préparatoire au cours moyen un dénommé Alvarez qui de la première seconde à la dernière m'a considéré comme un punching-ball, une serpillière, un paillasson, bref un souffre douleur.
Je rêvais de grandir, de prendre des biceps, des pectoraux et de lui mettre un jour une branlée mémorable., mais Alvarez grandissait plus vite que moi et à chaque rentrée, il doublait de volume. Mais un jour, je l'aurais. Je l'aurais !
L'école, c'était donc M. Bouchacour pour ses dictées, mais aussi Alvarez et ses tortures, sa bande de soudards impitoyables, car il était chef de bande, Alvarez. Et si on lui échappait à lui, les autres vous faisaient prisonnier et c'était pire : billes volées, osselets dérobés, équerre cassée, plumier dispersé...
"Tu te feras de petits camarades..."
Moi j'ai supporté Alvarez pendant cinq ans qui gonflait à vue d'oeil, dix centimètres de plus à chaque retour de vacances, je me demande où il en est ce type avec sa croissance d'enfer, un jour sa tête va apparaître par dessus les murs du quartier, il viendra me chercher pour une ultime rouste.
Trente mètres de haut, deux tonnes, je n'ai pas fini d'en baver...
Collection "Souvenirs d'école"
Je ne veux pas aller à l'école ; La rentrée ; L'écolier ; L'institutrice ; Les cancres