"Souvenirs d'école.
J'ai lu un livre avec des châteaux, des parcs et un jeune garçon qui avait sa préceptrice pour lui tout seul, ça roulait dans l'huile. Il écrivait tranquille avec les gazouillis des pinsons qui entraient par les fenêtres, ça aussi, c'était mon rêve.
Pas à craindre de recevoir une pointe de compas en pleine fesse, une boulette dans l'oeil, un coup d'élastique dans le mollet. C'est terrible quand même qu'on ne fasse rien pour les souffre-douleur !
On doit les considérer comme des mous, des faibles, des ridicules, ils agacent un peu :
"Tu ne peux pas te défendre, non ?"
Et non, justement, il ne peut pas se défendre. Ce n'est pas de sa faute tout de même.
Il y eut pire que moi d'ailleurs, une année j'ai eu une institutrice qui avait son fils dans la classe.
Il a souffert celui-là, elle n'osait même pas lui remettre une bonne note quand il la méritait., on aurait tous crié au favoritisme, au coup monté :
"Bien sûr qu'il a des dix, c'est sa mère qui le note..."
Et puis des élèves, c'est tous des concurrents, et impitoyables. On était classés nous, à l'époque, ça voulait dire qu'il fallait se monter les uns sur les autres, s'écrabouiller.
A la récré, pareil, la loi du meilleur, la loi du plus fort.
Et il fallait jouer serré, avoir la bonne note pour que l'institutrice soit contente mais il ne fallait pas trop exagérer parce que l'on devenait fayot, lécheur... Les vrais hommes n'hésitaient pas à ne pas savoir leur leçon. Je m'en souviens bien des interros orale : Iglesias, au tableau !
Finit l'anonymat des assis, me voici debout, soudain, sous les projecteurs, sous l'estrade, faisant semblant de ne pas trop savoir trop bien mais de savoir quand même pour plaire aux filles. Sale moment à passer...
Et la cours de récré, bitumée, extra-dure, avec des caïds lancés à toute vapeur qui vous éclatent sur l'asphalte avant de vous expédier contre les troncs d'arbres, dans la caillasse... Une enfance se passe avec les genoux en sang, avec des bleus partout. Je rentrais à la maison avec des pansements terribles, le plus souvent c'était la tête qui prenait.
J'ai collectionné les agrafes, les points de suture, enduit de teinture d'iode, de mercurochrome...
Et le surveillant...
"On joue sans courir."
"On ne court pas !"
Sifflets stridents qui vous bloquent les rotules, qui vous figent les mollets tout net.
Au piquet : A couru pendant la récréation...
Re-sifflet, fin de la récréation.
"En rang, par deux, bien alignés. On se tait. On ne parle plus. On entre en classe. Bras croisés, on sort son cahier, dans le calme."
Et voilà, c'est reparti pour un tour.
On n'en sortira jamais.
Et pourquoi les institutrices sont toutes méchantes ? Vous le savez vous ?
Phrase choc :
"T'as Bachelet, cette année ? Tu vas en chier dur, je l'ai eu l'année dernière."
Les angoisses montent. Je me souviens de la première heure, du premier contact, quand on se jauge, à Carmaux, on jouait la fausse aisance, ceux que rien n'impressionne, les semelles de Rangers ou de Converse sous la table avec un calme olympien d'apparence alors qu'à l'intérieur, ça bouillonne.
Je me souviens quand la mère Bachelet passait dans les rangées, s'arrêtait derrière moi, louchait sur mon cahier.
Trente tonnes de plomb sur chaque épaules, ça me coulait jusque dans le creux des reins. Rien que de l'écrire, ça me donne des suées et j'ai envie de me pisser dessus.
Mais bon dieu, ce n'était pas un drame de ne pas mettre l'accent circonflexe, de mettre deux L au lieu d'un ou d'un T au lieu de deux, d'oublier la retenue, de se tromper de virgule. Pourquoi est-ce que personne ne m'a jamais dit que c'était pas si grave que ça ? Qu'on pouvait se gourer dans la règle de trois sans avoir la vie gâchée pour des siècles ? Au lieu de ça... Bam !
Puis, ils en font des tonnes par dessus le marché :
"Ecoutez-bien, c'est important."
"Retenez bien ceci..."
"Portez toute votre attention sur..."
"Vous n'arriverez à rien si..."
C'est sûr que pas un ne va dire : "Ecoutez les petits gars, ce que je dois vous apprendre, Louis XIV, l'Edit de Nantes, le carré de l'hypoténuse, le sillon Rhodanien et les subordonnés conjonctives, ça ne vous servira pas une fois dans la vie et vous n'en avez rien à cirer..." Et bien ce type-là aurait raison et creuserait sa propre tombe.
Au lieu de ça, rappelez-vous vos bulletins, les notations sous les notes :
"Elève intelligent mais doit redoubler d'application",
"Ne manifeste pas assez de sérieux dans son travail",
"Attention à la discipline."
Quand je pense que mon institutrice a passé toute sa vie à l'école. Papa et maman en parlent à la maison : c'est un bon métier, beau et noble, transmission de culture, message etc, etc. Et puis il y a les vacances. Deux mois d'été, Pâques et la Noël, elle ne gagne pas beaucoup mais ça tombe tous les mois.
Beaucoup d'enfant rêvent d'être maître.
Les petits jouent à l'école.
"Je serai la maîtresse.
- Non, c'est moi !"
Pourquoi pas, après tout.
Et puis, comme dit ma Mamie : il vaut mieux vivre au milieu des enfants, qu'exister dans le monde des adultes.
Collection "Souvenirs d'école"
Je ne veux pas aller à l'école ; La rentrée ; L'écolier ; L'institutrice ; Les cancres